Chapitre 11 - LES ERMITES

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LES ERMITES

 

 

 

Entourée d’un nuage de brume et penchée au dessus du vide, Orchidia se tenait en équilibre sur un pied sur le rocher qui surplombait les chutes et tentait d’en évaluer la hauteur. En vain.

Persuadés que sauter mettrait fin à leurs jours, les compagnons se frayèrent un chemin à travers la végétation dense. A la fille indienne derrière Shinobi, ils descendirent dans la jungle en s’éloignant des chutes par le Daar. Lors de cette première journée de marche, Karisma fut rassurée. En effet, la zone qu’ils traversaient ressemblait davantage à une forêt de teck, parsemée ça et là d’un sal ou un banian solitaire, plus qu’à la jungle hostile qu’elle imaginait. L’air sentait les fleurs et était empli de chants d’oiseaux. Parfois, aux abords d’un banian, ils pouvaient entendre les cris de défi des singes, les poussant à quitter leur territoire.

Quand le soleil commença à décliner, ils s’arrêtèrent dans une petite clairière afin de monter le camp pour la nuit. Tout en l’envoyant lui chercher des fruits, Karisma fit part à Hiro (qu’elle considérait toujours comme son serviteur) de sa satisfaction.

Hiro répondit : « Au risque de vous décevoir, Madame, et malgré tout le respect que je vous porte, il n’en sera pas de même demain. Si nous continuons dans cette direction, nous nous retrouverons bien vite en Dorma et donc dans la Confrérie. »

Déçue, Karisma balbutia : « Mais…Shinobi…

- Shinobi est un bon soldat, la coupa Hiro, mais il ne connaît pas la forêt. Je l’ai laissé ouvrir la marche aujourd’hui car il nous éloignait suffisamment de la rivière au cas où nous serions suivis. Mais il y a parmi nous de bien meilleurs guides pour cet environnement. C’est pourquoi je vais maintenant chercher à manger, pour tout le monde. »

En partant, il ajouta : « Reposez-vous bien, Princesse. Demain je prends les devants et nous entrerons au cœur de la jungle comme vous l’espériez. »

 

La jeune noble, habituée au confort des matelas et coussin en plumes, eut beaucoup de mal à trouver le sommeil sur le sol froid et humide. Le moindre bruit la faisait sursauter, et la nuit en était remplie : les cris des macaques, les ululements des rapaces nocturnes, les craquements des brindilles foulées par quelques bêtes sauvages et le vrombissement assourdissant des moustiques. Elle se décida à se lever, abandonnant l’idée même de s’endormir alors qu’autour d’elle tous ses compagnons semblaient rêver imperturbablement. Tous sauf Edgarde, qui montait la garde légèrement à l’écart du groupe, dans l’obscurité.

Karisma se faufila jusqu’à elle et s’assit. Edgarde l’accueilli alors d’un : « Qu’est-ce tu m’veux ?

- Seulement te tenir compagnie, répondit la princesse qui avait fini par s’habituer au langage de la barbare. Je n’arrive pas à fermer l’œil.

- D’accord mais tu me parles pas. Tu me déconcentres. »

Karisma ne dit mot et commença elle aussi à inspecter les alentours. Elle ne voyait que l’obscurité. Elle demanda alors : « Tu y vois quelque-chose ?

- Comme en plein jour, jusqu’aux premiers arbres.

- C’est impossible, il n’y a pas de lumière ! s’exclama Karisma. »

Edgarde se tourna dans sa direction et lui répondit d’un regard noir, un doigt sur les lèvres. Puis elle indiqua le ciel de son autre main. La princesse y vit briller les étoiles et un mince croissant de lune. C’est vrai, se rappela-t-elle, elle est du peuple d’Amar et Hiro. Puis, sachant qu’elle n’obtiendrait rien d’une conversation forcée avec Edgarde, elle se résigna à garder le silence et à observer le ciel. Quand Jodha la réveilla à l’aube, elle constata qu’elle avait été ramenée à sa place au milieu du groupe. Tous étaient déjà prêts et au loin, Edgarde et Hiro vociféraient en tentant de convaincre Shinobi qu’il serait plus utile derrière. La danseuse lui tendit une figue et lui dit : « On a pensé qu’il valait mieux vous laisser dormir, mais nous devons partir. Il n’est pas bon de s’attarder ici, ils pensent que des prédateurs on pu flairer notre présence. »

Ils levèrent le camp, Shinobi fermant la marche, en direction de la forêt profonde. Comme l’avait prévu le semi-esprit, les tecks disparurent peu à peu, laissant la place à des banians de plus en plus vieux et entremêlés. Entre les buissons, les fougères et les lianes, Edgade dut bientôt emprunter le khandar d’Hiro pour ouvrir la voie à la petite compagnie qui la suivait. Derrière, Amar, Minami et Jodha avançaient en silence, alors que Karisma et Shinobi râlaient à tour de rôle, l’une d’être sans cesse caressée et égratignée par des branches (quand ce n’était pas un serpent qui tombait de nulle part juste devant elle), l’autre de marcher à l’arrière comme un serviteur inutile, l’épaisse canopée l’empêchant de prendre son envol pour guider le groupe depuis les airs.

 

En ce qui semblait être le début de l’après-midi, Hiro proposa une pause au pied d’un figuier particulièrement fourni en fruits. Tous furent ravis de sa proposition et s’assirent pendant qu’Amar et Orchidia commencèrent à grimper aux lianes pour récolter leur nourriture.

C’est alors qu’un cri retenti. Ayant reconnu une voix humaine, Shinobi dégaina aussitôt puis se figea, l’oreille tendue, attendant un indice sur la provenance du cri. Il ne tarda pas à venir, cette fois sous la forme d’un hurlement de douleur. Le guerrier s’enfonça alors dans la jungle en courant, suivi de près par Edgarde, également l’arme au clair. Derrière un large tronc reversé, ils débouchèrent sur une petite zone dégagée où un vieil homme, en tenue de brahmane sale et tâchée de sang au bras droit, était adossé à un rocher. Face à lui, un tigre se préparait à bondir.

Edgarde hurla pour attirer l’attention du félin et Shinobi sauta par-dessus le tronc pour aller à sa rencontre. Bien que surpris, le tigre sauta vers Shinobi, qui l’esquiva tout en lui entaillant légèrement le côté. Le prédateur émit un grognement et changea de cible, car face à lui Edgarde était loin de passer inaperçue. Il bondit sur elle, griffes et crocs saillants. La barbare l’accueilli d’un grand coup de zuhara derrière l’oreille. Ils tombèrent ensemble dans les fougères mais seule Edgarde se releva. Elle se dressa au dessus de sa victime prise de convulsions, et après avoir fait tourner son arme autour de son poignet, la prit à deux mains pour asséner le coup de grâce. Un sourire sadique illumina son visage quand une giclée de sang le recouvrit. Elle releva les yeux et vit Minami et Jodha la regarder : « Quoi ? » leur lança-t-elle. Les deux femmes l’ignorèrent et rejoignirent Shinobi qui venait déjà en aide au mystérieux brahmane. Il soutenait le vieil homme sous son épaule gauche, alors que son bras droit pendait, dégoulinant de liquide écarlate : « Merci, mon ami, dit faiblement le blessé. »

Le pauvre homme, à bout de forces, trainait les pieds dans la végétation et Shinobi peinait à le faire avancer.

« Allonge-le ! lança la voix d’Amar qui arrivait enfin sur les lieux. Il est trop faible pour marcher.

- Peux-tu le soigner ? s’enquit alors le guerrier.

- Je ferais de mon mieux, je dois d’abord l’ausculter, dit le moine. »

Il déchira la manche ensanglantée et mit au jour un bras mutilé, ouvert sur toute sa longueur par un puissant coup de griffe. Il grimaça, puis sortit une petite fiole de son sac dont il versa le liquide sur la plaie. L’hémorragie s’arrêta aussitôt. Amar prit alors sa gourde et lava le bras du brahmane. Il plaqua ensuite sa paume droite sur la blessure et se lança dans une brève incantation. Il finit ensuite de découper la manche pour faire un pansement avant de souder le front de son patient. Ce dernier le regardait droit dans les yeux : « Encore merci, dit-il, je n’avais plus la force de le faire moi-même. Cette bête m’a salement amoché.

- Vous devriez vous en sortir, le rassura Amar.

- Le gros chat a eu son compte ! intervint fièrement Edgarde.

- Puis-je vous demander qui vous êtes, et ce que vous faites seul ici ? continua le moine.

- Je me nomme Ravi Mital, je suis… J’étais, se reprit le vieil homme, prêtre d’Asmald au temple de Guntur. Quand Raj a attaqué les Brahmanes, je me suis enfui. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de sauver le monde. Et vous, mes amis, je vous retourne la question. Vous êtes peut-être plus nombreux, mais cet endroit n’est agréable pour personne.

- Nous sommes en mission, dit Shinobi.

- Nous accomplissons une quête, ajouta Hiro, pour la Confrérie. »

Ravi se tourna alors vers le Naaresh, intéressé par son intervention. Il dévisagea chacun des compagnons maintenant regroupés autour de lui avant de reprendre la parole : « Ainsi certains croient encore en la Confrérie. Et quelle est donc votre quête ? »

Minami répondit : « Elle est secrète…

- Nous protégeons l’avenir, la coupa Jodha. Les dieux nous envoient.

- Alors c’est une quête divine !

- Tout porte à le croire, en effet, approuva Amar. Même si ce n’est pas évident tous les jours. »

Le vieil homme tendit le bras à Shinobi pour qu’il l’aide à se relever. Il regarda à nouveau chacun de ses sauveurs attentivement et s’avança lentement jusqu’à Karisma. Elle soutint son regard perçant en silence. Puis Mital se tourna vers le groupe et dit : « Je sais où elle sera en sécurité. Je vais tout vous dire, continua-t-il en s’asseyant sur une grosse racine de pipal. Lorsque j’ai quitté Guntur, je me suis rendu à Nasik. J’avais entendu dire qu’il y avait là-bas un sage qui savait aider la plupart des causes perdues. Je n’y croyais pas, mais je n’avais plus rien à perdre. Je devais savoir si la Confrérie pouvait être sauvée. Quand je suis arrivé devant sa hutte, au beau milieu de la nuit, l’homme était sur son seuil, il m’attendait. Il m’offrit à boire et à manger, mais m’interdit de prononcer le moindre mot. Durant toute la nuit, il m’observait en silence, j’ai même cru qu’il était muet. Et aux premières lueurs de l’aube il me dit qu’il ne pouvait rien pour moi. Je devais me rendre chez les ermites si je voulais des réponses. Où ? Dans les marais du tigre, ici, au milieu de la jungle. Et je devais partir immédiatement. Il me mit dehors aussitôt, en m’offrant ceci. »

Le brahmane montra alors un pendentif en bois qu’il portait autour du cou. Hiro s’agita, il commença à fouiller dans toutes ses poches, et finit par sortir quatre pendentifs identiques. Le vieil homme écarquilla les yeux : « Vous aussi ? Vous avez vu le sage ?

- Non, dit Hiro, je les ai ramassé sur les cadavres de guerriers qui nous ont attaqué près de Guntur. Ils ne les portaient pas, ils étaient dans une bourse. Ils avaient dû les prendre à quelqu’un. Regardez, celui-ci est tâché de sang.

- Tu nous les as cachés, observa Shinobi avec une note d’amertume.

- Quelle importance, ils n’ont aucune valeur, justifia le Naaresh.

- Au contraire, dit le brahmane, ils ont plus de valeur que l’or. C’est la clé qui mène aux ermites. Que vous les possédiez me prouve que vous êtes dignes de confiance. Je vous guiderai jusqu’aux marais. »

 

 

 

***

 

 

 

 

          

 

Dans un paysage blanc, vide de tout, où l’on ne distingue le ciel du sol, où il n’y a personne depuis des millénaires car il n’y a rien à voir et rien à entendre, hormis le bruit du vent. Un vent violent et glacial.

Dans ce néant gelé, quelque chose s’apprête à changer. Oui, là, au milieu du sifflement strident des rafales glacées, un bruit. Un bruit sourd et léger. Boum.

Encore un. Boum. Un bruit profond.

Boum boum. Deux cette fois. Des bruits chauds.

Boum boum.

Boum boum. Des bruits cadencés.

Boum boum. Réguliers.

Boum boum.

Boum boum.

Boum boum.

Quelque-chose se réveille…

 

 

***

 

 

D’un violent coup de pied, Edgarde réveilla Shinobi : « C’est bientôt le jour, c’est ton tour ! »

Le guerrier attrapa une de ses bottes et la jeta sur la barbare en protestant : « Tu pourrais pas dire ça gentiment ?

- Quoi, t’aurais voulu un câlin ? Debout, j’suis canée ! »

            Shinobi grogna mais finit par se lever et boucla ses armes à sa ceinture pendant qu’Edgarde s’allongeait pour se reposer. Comme à son habitude, le Hengeyokaï fit un rapide tour du camp afin de s’assurer que tous ces compagnons étaient bien présents avant de prendre son poste de garde en peu en retrait du groupe. Tous étaient bien là, allongés tant bien que mal entre les grosses racines, et leurs maigres effets bien regroupés dans le creux d’un tronc. Tout semblait en ordre, cependant quelque chose attira l’attention du guerrier. Il avait fait de nombreux tours de garde durant la guerre des montagnes Brunes, et il avait aiguisé ses sens pour déceler la moindre anomalie. En regardant le brahmane, il ne pouvait avoir aucun doute, son corps était sans vie. Ravi Mital était mort.

            Shinobi s’approcha du défunt et s’agenouilla. En une fraction de seconde il se métamorphosa en être hybride : mi-homme mi-grue ; et s’arracha une plume sur le torse, près du cœur. Il reprit aussitôt forme humaine et la déposa sur le front du brahmane, comme le voulait la coutume Hengeyokaï. Puis il se releva lentement, s’éloigna de trois pas à reculons avant de se retourner pour monter la garde.

            Au lever du soleil, lorsque tous eurent ouvert les yeux, Shinobi annonça la nouvelle : « Le brahmane est mort cette nuit, nous n’avons plus de guide.

            - Quand l’as-tu constaté ? demanda aussitôt Amar.

            - Lorsque j’ai relevé Edgarde, j’ai vu qu’il ne respirait plus.

            - Tu aurais dû me prévenir !

            - Saurais-tu réveiller les morts ? (N’ayant comme réponse du moine que le silence, Shinobi continua :) Nous devons décider quel sera notre nouvel objectif.

            - Pourquoi en changer ? s’enquit Hiro. Nous savons que faire : retrouver les Ermites. Et nous avons les colliers.

            - Mais nous ne savons pas où les trouver, dit Shinobi.

            - Tout ce que nous avons c’est un nom, le marais du Tigre, dit Jodha, et même pas de carte. »

            Minami, qui s’était penchée sur le corps et l’avait palpé dès la mention de sa mort ajouta : « Je confirme, il n’a pas non plus de carte sur lui, rien qu’un de ces colliers en bois.

            - Nous n’avons pas besoin de carte, affirma Hiro. Nous sommes dans la jungle, il n’y a pas de route. Mital nous a guidé plein Naar toute la journée d’hier, il allait droit vers le marais. Je vous parie qu’en continuant dans cette direction, nous y parviendrons. Et puis, quelles sont nos alternatives ?

            - Je suis d’accord avec Hiro, dit Amar. Nous devons essayer, Karisma doit être mise en sécurité.

            - Vous vous préoccupez de ma sécurité ou vous voulez seulement vous débarrasser de moi ? s’enquit l’intéressée.

            - Et on en fait quoi du gars crevé ? intervint Edgarde »

            Shinobi s’avança vers la Sœur et lui dit calmement : « Vous vous doutez qu’il est trop risqué pour nous de lui donner les rites traditionnels. Couvrir son corps sous un tertre est le mieux que l’on puisse faire.

            - Non, répondit Karisma, les larmes aux yeux. Sa réincarnation sera plus rapide si son corps reste sans protection. Honorons-le d’une prière et reprenons notre route. »

 

 

***

Lalitkumar vérifia une dernière fois les sangles de son armure. Il ajusta les plumes rouge et or au sommet de son casque et s’assura que son tulwar glissait bien dans son fourreau. Dans le silence, il reçut les bénédictions de son épouse qui s’inclina respectueusement jusqu’à ses pieds et s’écarta en laissant couler une larme. Les serviteurs ouvrirent alors en grand la lourde porte de bois du palais et le jeune Commandant sorti fièrement, le visage grave. Il prit place sur sa monture et traversa la ville jusqu’à la place, devant la porte principale, où l’attendait une armée de deux mille hommes, ainsi que son Seigneur, le Frère Narayan. Il vint se placer à sa droite et le salua. Du haut des remparts, Frère Vishnu lança : « Es-tu certain que ce soit nécessaire, Narayan ?

            - Nous avons pu voir que la cité tient bon, et nous avons trop d’hommes concentrés au même endroit, coincés derrière ces murs. Si Raj nous contourne ou si Meghnad descend sur Hota-Hai, nous pouvons dire adieux aux renforts de Daarjing. C’est maintenant que nous devons agir, marcher sur Hota-Hai et protéger la frontière Daar.

            - Mais aucun messager n’est encore revenu, Narayan. Raj contrôle peut-être déjà la frontière, et Daarjing ! Ne souhaites-tu pas attendre avant d’envoyer tes hommes à la mort ?

            - Non, nous ne pouvons plus attendre, Vishnu. Il est temps de prendre des risques. Ouvrez les portes ! »

            Sous les acclamations de la foule rassemblée autour de la place et des soldats en poste sur le chemin de ronde, l’armée de Narayan quitta Voojing, soulevant derrière elle un nuage de poussière qui s’éleva lentement au dessus de la forêt de Gagendra. Vishnu la regarda s’éloigner, inquiet. Oui Voojing avait soutenu les deux premiers assauts, mais qu’en serait-il des suivants ? Et si un autre Frère venait à disparaître, la Confrérie de Sardesh se rapprocherait encore un peu plus de la fin. Une seule chose permettait au Grand Prêtre de garder espoir : Karisma et Rana étaient encore en vie.

 

            L’abri de la cité était déjà loin derrière eux quand Lalitkumar rompis le silence à l’avant de la colonne : « Mon Seigneur, dit-il à Narayan, c’est un honneur de partir à la guerre à vos côtés. Laissez-moi vous dire que votre peuple est reconnaissant de vous voir porter les armes pour le défendre.

            - Je ne l’y ai pas habitué, n’est-ce pas ?

            - Non, en effet mon Seigneur, répondit le Commandant, légèrement honteux d’avoir pu insulter un Frère. Mais jusqu’alors la paix ne vous a donné que de rares occasions de…

            - Il y a tout de même eu ces rares occasions, le coupa Narayan, et je ne les ai pas saisies. Quand Daarjing et Dorma ont appelé à l’aide, je vous ai envoyé vous, votre défunt père et vos hommes. Moi, je me suis contenté de recevoir les rapports, en mangeant et buvant, confortablement installé dans mon palais tel un despote. Même ce traître de Raj s’est exposé et s’est sali les mains pour commettre son crime. Je l’ai vu, Lalit, je l’ai vu lever son gigantesque gada et l’abattre sur mon Frère. J’ai vu le visage horrifié de Ramsaab avant qu’il n’explose. J’ai vu son œil, son œil voler hors de son crâne et rouler sur la table devant moi. Je me suis traîné dans son sang, continua t-il le regard dur fixé dans le lointain, sous l’oreille attentive de son Commandant qui regrettait maintenant d’avoir tenté de saluer la bravoure de son seigneur.

            « J’ai vu l’horreur, et elle a bien failli avoir raison de moi. Je suis tombé dans l’obscurité, et pendant des jours je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Je devais faire face, je devais me battre, et j’ai fui, Lalit, j’ai fui comme le plus grand des lâches. Et plusieurs fois j’ai imploré Devisha de me donner la mort. Cette marche à vos côtés ne suffira pas à me racheter. Honore nos Sœurs, Lalit, dit-il en tournant enfin le regard vers son second, c’est Rana et Karisma qui nous ont permis de vivre et de garder espoir. »

           

 

 

***

 

  « Attendez ! cria Amar depuis l’arrière, je sens quelque-chose.

            - Edgarde ? proposa Shinobi » Cette dernière répondit d’un grognement. Jodha et Hiro échangèrent un regard en étouffant leur rire alors que Minami levait les yeux au ciel.

            Imperturbable, Amar remonta en tête du groupe en annonçant : « De l’eau, nous approchons du fleuve !

            - Enfin, je pensais que nous y serions déjà arrivés dans la matinée, dit Hiro.

            - Son cours a dû tourner vers le Naar, conclut Amar. »

            Après quelques minutes de marche, le moine en tête, les compagnons atteignirent la rive de l’Ishk. Le fleuve avait retrouvé un courant lent après les chutes. Il était large de près de cinquante mètres et s’écoulait entre la jungle dense sur sa rive droite et une zone de végétation plus clairsemée sur sa rive gauche. Enfin libéré de l’épaisse canopée, Shinobi se métamorphosa et pris son envol au dessus du fleuve. Il fit quelques cercles au dessus de ce nouveau paysage avant de se poser sur la rive gauche. Retrouvant sa forme humaine il cria par-dessus les eaux en faisant de grands signes à ses compagnons.

            Minami demanda : « Quelqu’un comprend-il quelque-chose ?

            - Je crois qu’il nous invite à le suivre, dit Hiro.

            - Allons-y, déployons nos ailes, ironisa Jodha.

            - Je crois que nous n’avons pas d’autre option que la nage, dit Amar avec un grand sourire. Besoin d’aide, Edgarde ? demanda-t-il d’un ton moqueur.

            - Ouais, tiens-moi ça, répondit la barbare et lui tendant ses armes et son paquetage, avant de se jeter à l’eau.

            - Bravo, tu progresses, dit Jodha en lui tapotant la joue.

            - Quel gentilhomme, ajouta Minami.

            - C’est vrai que tu n’y verras pas d’inconvénient, n’est-ce pas ? dit Hiro en lui donnant son propre sac. »

            Tous trois, imités par Karisma, s’élancèrent alors à la suite d’Edgarde afin de rejoindre Shinobi sur l’autre rive, laissant Amar seul avec Orchidia, qui tentait encore de comprendre, à l’orée de la jungle : « Ca m’apprendra à être galant. Croyez-moi, on ne m’y reprendra plus ! »

            Le moine ajusta sa charge et s’empressa de suivre ses compagnons. Le groupe nageait à vitesse constante et le courant ne leur posait aucune difficulté. Quand Amar atteignit presque la rive gauche, il senti un mouvement anormal. Lui qui avait fait la traversé sous l’eau refit surface tout près de Shinobi. A quelques mètres de là, trois gavials venaient d’enter dans l’eau et se dirigeaient vers les nageurs. Sans hésiter, Amar se mit à faire de grands gestes pour les attirer vers lui. Il monta sur la rive, leur lança tout ce qui lui tombait sous la main et couru en remontant en amont du fleuve afin de les éloigner le plus possible de ses compagnons. Shinobi, qui n’avait rien vu, cru que son ami avait perdu la raison et le regarda gesticuler, amusé, jusqu’à l’arrivée d’Edgarde, Karisma, Orchidia, Hiro, Minami et Jodha : « Que fait-il ? demanda la danseuse.

            - Je ne sais pas, dit le guerrier. Il est sorti de l’eau chargé comme un âne et s’est mis à crier tel un singe puis sauter et courir comme un chien. Espérons que ça lui passera. »

            Orchidia tenta de poser la même question et ne reçut pour toute réponse qu’un haussement d’épaules général. Minami demanda à Shinobi : « Qu’as-tu vu par là-bas ?

            - Notre ami Hiro avait raison, répondit le guerrier, cette rive semble de plus en plus marécageuse en continuant vers le Naar. Je pense que nous sommes sur la bonne route.

            - Parfait, dit Karsima, allons-y. Nous devons bouger pour sécher. »

            Edgarde se prépara à mener le groupe quand elle s’exclama : « O cagade ! On peut pas se barrer, l’autre tartagnole a notre barda !

            - Ne t’inquiète pas, la rassura Hiro avec un sourire amusé, tartagnole revient. »

            Amar était effectivement de retour, toujours aussi chargé et à bout de souffle. Shinobi demanda : « Alors, tu avais besoin d’exercice ?

            - Je vous ai sauvé la vie ! protesta le moine.

            - Contre quoi ? s’enquit Jodha.

            - Des gavials ! Vous ne les avez pas vus ? Trois, énormes ! 

            - On n’a vu que toi, tartagnole, ricanca Hiro.

            - Tarte à quoi ?

            - Ca suffit, dit Karisma, il faut que l’on avance. »

            Ils déchargèrent le pauvre Amar et reprirent la route.


           


           

         

Les arbres se firent de moins en moins nombreux et ils évoluaient maintenant dans un environnement parsemé de broussailles entre des étendues d’eau peau profondes et des tourbières. Ils aperçurent au loin de nouveaux crocodiliens au long museau, mais de taille plus que raisonnable, et en profitèrent pour railler encore un peu Amar.

            Karisma fut soudain prise d’une grande soif. Trouvant sa propre outre vide, elle s’approcha d’Hiro qui était lui-même en train de boire à l’avant du groupe : « Puis-je emprunter votre outre ?

            - Biensûr, dit Hiro plein de gentillesse. Mais il ne reste qu’une goutte. »

            En effet, Karisma la vida d’une gorgée : « Je meurs de soif ! Pourquoi toute cette eau autour de nous est croupie ?

            - C’est le principe d’un marais, dit le Naaresh. Je vais voir si nous avons une autre âme généreuse avec nous. Continuez tout droit. »

            La Sœur se retrouvait maintenant à guider la troupe sensée la protéger. Ne se sentant pas à l’aise, elle regardait sans cesse derrière elle, attendant le retour d’Hiro. C’est ainsi qu’elle s’enfonça dans une tourbière bien plus profonde que les précédentes. Aussitôt, une forme féminine élancée se jeta dans la tourbière à une dizaine de mètre de là, en direction de la jeune femme qui commençait à se noyer. Mais Amar ne la vit pas, car il s’était déjà précipité au secours de Karisma, jetant son lathi au milieu des joncs.

            Le moine agrippa fermement la jeune noble sous la poitrine et se mit à la tirer vers le rivage quand la plongeuse refit surface juste devant eux. Cette femme était une des atrocités les plus ignobles qu’aucun des aventuriers avaient ou voir jusqu’alors. Elle était couverte de nombreux lambeaux de peau, pour la plupart dans un stade avancé de décomposition, cousus grossièrement avec des cheveux humains. En dessous dépassait une créature verdâtre, suintante, aux dents noires et cariées, aux yeux blancs et au nez crochu. Ses longs doits fins dont les ongles jaunis ressemblaient à des griffes tentèrent d’atteindre la Sœur, mais Amar se retourna par réflexe et reçu le coup dans son dos. La bête poussa un cri strident. Les compagnons qui n’avaient pas encore atteint la tourbière sortirent leurs armes et accoururent.

            Amar envoya un puissant coup de pied dans le nez proéminent et souleva Karisma de toutes ses forces pour la faire sortir de l’eau. Hiro la hissa sur la berge. Minami, vive comme l’éclair, décocha aussitôt une flèche entre Amar et le monstre pour faire reculer ce dernier, mais en vain. L’immonde créature agrippa les chevilles du moine et l’attira avec elle sous l’eau. C’était sans compter ses facultés particulières de respiration aquatique. Bien que l’eau de la tourbière sois très chargée en résidus et pauvre en oxygène, le semi-esprit réussit à entrer en lutte avec le monstre et parer ses redoutables griffes. Il se concentra sur un sort basique mais les conditions l’empêchèrent de le lancer. Il visa alors ce qu’il considérait comme un point faible de son adversaire : les yeux. La créature relâcha aussitôt son étreinte.

            Lorsque leur ami avait disparu sous la surface, Jodha et Hiro encochèrent une flèche à leurs arcs et se tinrent prêts à tirer. Shinobi s’était envolé pour observer les environs afin de savoir s’il y avait d’autres dangers potentiels et Minami et Orchidia firent le tour de la tourbière, chacune dans un sens, pendant qu’Edgarde veillait sur Karisma. La créature refit soudain surface. Deux flèches se plantèrent immédiatement dans son dos. Elle hurla de nouveau et se débattit, essayant en vain de les arracher. Les archers décochèrent une nouvelle salve. Cette fois, l’un des projectiles traversa son crâne. Il n’y eut pas de cri. L’horrible corps s’immobilisa et se mit à flotter, une tâche d’un mélange de brun rouge et de vert s’agrandissant autour de lui et des lambeaux de peaux qui s’en détachaient un peu partout.

            Amar sortit de l’eau à son tour. Il était sale et trempé et son habit de moine déchiré un peu partout laissait apparaître une vilaine griffure dans son dos. Il récupéra son arme et se dirigea directement vers Karisma : « Vous allez bien ? lui demanda-t-il.

            - Ca va, je n’ai rien. Je vous remercie, Amar. Mais vous-même, êtes-vous blessé ?

            - Ce n’est pas grand-chose, enfin je l’espère. J’avoue ne pas savoir ce qu’était cette horrible…chose.

            - Laissez-moi vous dire que vous êtes le dernier d’entre tous que j’imaginais venir à mon secours.

            - Dites vous, madame, que c’est une erreur que je ne commettrai peut-être plus, dit le moine avec un sourire narquois. »

           

            De son côté, Orchidia finit son tour de la tourbière. Elle sursauta soudain et détourna le regard, prise d’une incontrôlable nausée. Derrière une grosse souche, au milieu des joncs, elle venait de découvrir des corps dépecés. Ils pourrissaient au soleil, couverts de mouche et mangés par des vers en tout genre. Ces corps lui rappelèrent soudains les horreurs dont elle avait été témoins dans le passés et les mauvais traitements infligés par les maîtres aux esclaves de son espèce. Car ces derniers, malgré la gravité des blessures, finissaient toujours par guérir et vivaient ainsi avec la marque indélébile des leurs erreurs. La demi-elfe aux cheveux de blé prit alors sur elle et héla ses compagnons avant de rependre sa fouille.

            Les corps n’étaient que partiellement dépecés, et allongés sur un lit d’ossement plus anciens à moitiés enfoncés dans la terre et recouverts de mousses. La créature avait sur chacun d’eux choisi des zones très différentes. Sur l’un elle avait prélevé la peau de la jambe gauche, de la cuisse à la cheville, mais pas le pied, ainsi qu’une partie du flanc droit en évitant la poitrine. Il s’agissait d’un homme dont l’origine ne pouvait être déterminée car son visage était entièrement lacéré. L’autre victime était une femme. Elle était là depuis plus longtemps car les décomposeurs avaient déjà mis à nu une partie de son squelette. Sur elle la créature avait prélevé un sein, la peau de quelques doigts sur chacune des mains ainsi que tout le cuir chevelu et le haut du visage.

            Orchidia avança prudemment entre les corps, jusqu’à la souche. Cette dernière était creuse et Orchidia y avait vu briller quelque-chose. Elle comptait y trouver les vêtements des victimes. Ils pourraient lui en apprendre plus sur leur origine. Elle introduisit sa main une première fois. Elle toucha une étoffe. Elle sorti sa trouvaille mais fut vite déçue, il ne s’agissait que d’un lambeau. Elle allait s’en débarrasser quand elle aperçut une petite broche en bois, sertie d’une petite pierre verte accrochée dessus. Elle déposa l’objet sur le côté et plongea à nouveau la main dans la souche. Ainsi elle en sorti plusieurs objets avant l’arrivée de Minami et leurs compagnons : « Qu’as-tu trouvé ? demanda la Naaresh d’un ton autoritaire et pour le moins désappointé.

            - Des choses, pas importantes, répondit Orchidia.

            - Et ça, c’est quoi ? insista Minami en pointant du doigt trois petites bourses de cuir.

            - Des pièces. Je te les donne si tu veux. »

            Minami s’empara des bourses et s’éloigna pour détailler leur contenu. Sur ce, le reste du groupe arriva : « Quelle horreur, s’indigna Karisma. C’est répugnant !

            - Petite nature ! lui lança Edgarde.

            - Cette chose cachait donc un trésor ? s’enquit Hiro en désignant Minami du regard.

            - J’ai trouvé ça, dit Orchidia en montrant la broche, ce bâton à musique et une jolie ceinture de corde. Je garde la ceinture, la mienne est casée. Les autres, vous pouvez prendre.

            - Je prends la flûte, dit Edgarde. J’aime la musique, ça me détend.

            - Oui, ça te fera du bien, dit Hiro. Je veux bien la broche. »

 

            Shinobi atterrit alors près de ses compagnons : « Rien à signaler, aucun mouvement dans les marais alentour. J’ai manqué quelque-chose ?

            - Rien, on se partage juste quelques petits cadeaux, dit Amar. Au fait, Minami, partageras-tu avec nous le contenu de ces bourses ?

            - Partager est un grand mot, c’est un faible butin. J’ai recensé trente-six pièces d’argent en provenance de la Confrérie, assez anciennes, ainsi que cinq piécettes de cuivre et dix pièces d’argent estampillées d’un aigle en chasse.

            - C’est de Gavanesh, dit Orchidia.

            - D’accord, dit Minami. Et aussi trente pièces d’or au symbole bien étrange. Je n’ai jamais vu ça. »

            Tous y jetèrent un œil, mais aucun n’y reconnu quoi que ce soit. Minami rangea alors son précieux trésor. Amar, quand à lui, était intrigué par la ceinture d’Orchidia : « Cette ceinture n’est pas ordinaire. Me permets-tu de la regarder de plus près ?

            - Juste regarder, répondit Orchidia.

            - C’est bien ce que je pensais, dit Amar après un bref examen. Elle a des facultés magiques.

            - C’est une ceinture de corde toute simple, comme la mienne et la tienne.

            - Puis-je l’essayer ?

            - Non ! répondit la moniale. Elle est à moi !

            - Très bien, peux-tu alors me dire si tu ressens quelque chose de…particulier, de différent. »

            Orchidia réfléchit : « Non, rien.

            - Faisons un test, dit Amar. Frappe-moi.

            - Mais, non, tu es blessé, protesta Orchidia.

            - Ca ira, juste un petit coup, dans l’abdomen.

            - Comme tu voudras. »

            A conte-cœur, la jeune femme frappa. Son poing parti à une vitesse prodigieuse et Amar fut projeté en arrière. Il retomba sur sa blessure près de deux mètres plus loin. Orchidia se précipita vers lui : « Je suis désolée !

            - C’est ma faute, ne t’inquiète pas.

            - Que s’est-il passé ?

            - J’avais raison, répondit le moine, cette ceinture est magique. Elle devait appartenir à un moine. Elle décuple ton potentiel. Fais en bon usage. »

Un peu plus loin, Edgarde s’était mise à l’écart pour admirer son nouveau jouet : une petite flute en bambou toute simple. Elle l’observa sous tous les angles puis porta le bec à ses lèvres et souffla. La barbare faisait jouer ses doits sur tous les trous et l’instrument produisit une mélodie disharmonieuse, saccadée et stridente, qui semblait la ravir.  Au même instant, alors que ses compagnons se protégeaient les tympans et la suppliaient d’arrêter, les joncs autour d’elle se mirent à bouger. Trois gros serpents s’approchèrent d’Edgarde. Elle fit un bond en arrière, mais les reptiles s’immobilisèrent devant elle. Ils la fixaient de leurs yeux vides, comme s’ils attendaient quelque-chose : « Barrez-vous ! » leur cria la musicienne. Et ils s’en allèrent, chacun dans une direction.

 

            Remis de ses émotions, le groupe repris sa marche au milieu du marais, direction le Naar, espérant y trouver les fameux ermites. Après quelques heures à patauger dans les tourbières sous une chaleur écrasante en se faisant dévorer par les moustiques, ils finirent par atteindre une zone boisée plus dense qui leur fournit un certain abri. Soudain, la végétation devint si dense qu’il leur fut impossible de la franchir. Ils se trouvaient face à un véritable mur de troncs et de lianes. Hiro tenta de se faufiler, mais à peine la moitié de son corps put franchir l’épais rideau végétal.

            Shinobi se proposa alors de partir à nouveau en éclaireur par les airs afin de trouver un passage. Il se métamorphosa et s’envola aussitôt. Ce qu’il découvrit depuis le ciel le laissa perplexe. En effet, le mur de troncs faisait environ un demi-mètre d’épaisseur, et s’arrêtait net. Il formait un immense carré de près de cent mètres de côté, dans lequel aucun arbre ne poussait. Il n’y avait là qu’une prairie fleurie avec en son centre un amas rocheux, présentant une sorte de cavité. La grue cendrée fit quelques tours afin de s’assurer qu’il n’y avait aucun danger, puis se décida à se poser. Shinobi réapparut face à la cavité. De là, il vit qu’il s’agissait en réalité de l’entrée d’une grotte.

            Il fit un pas vers l’entrée quand une voix grave et puissante retentit depuis l’intérieur de la grotte : « Qui êtes vous ? Présentez-vous, intrus, car vous n’avez pas été invité. »

            Surpris, le Hengeypkaï repris aussitôt la voie des airs et alla retrouver ses compagnons. De l’autre côté du mur, Amar venait de finir une incantation : « C’est bien magique, et plutôt puissant, mais je ne sais pas ce que c’est.

            - C’est une sorte de barrière, lui dit Shinobi. Elle fait le tour d’une prairie et protège une grotte. Je crois que c’est notre destination, une voix m’a parlé.

            - Et que t’a-t-elle dit ? s’enquit Hiro.

            - Que je n’étais pas invité.

            - C’est rassurant, ironisa Jodha.

            - Une barrière, réfléchit Amar, une barrière… Je pense savoir, écartez-vous. »

            D’un pas sûr, le moine s’avança jusqu’aux arbres. Il prit son lathi par une extrémité et enfonça l’autre dans la barrière. Elle écarta quelques feuilles et branchages sur son chemin sur quelques centimètres puis, au lieu de toucher les troncs qui lui faisait face, disparut en leur passant au travers. Fier de sa découverte, Amar se retourna et dit avec un grand sourire : « Ce n’est qu’une illusion ! C’est sans danger, nous pouvons passer. Ecartons seulement les premières lianes. »

            Tous suivirent son conseil et passèrent au travers de la barrière illusoire. Ils s’arrêtèrent dans la prairie. L’air y sentait bon les fleurs des champs et était agréablement frais. Orchidia et Karisma laissèrent même échapper un rire joyeux. Elles étaient si heureuses de quitter le marais puant. Soudain, la voix retentit à nouveau, en provenance de la grotte : « Qui êtes-vous ? Présentez-vous, intrus, car vous n’avez pas été invités.

            - Nous venons voir les ermites, dit Hiro en brandissant les colliers de bois.

            - Vous n’avez pas répondu à la question, dit la voix. Et les talismans que vous possédez ne vous ont pas été attribués. Vous n’êtes donc pas attendus des ermites. »

            La voix commença alors à marmonner des paroles incompréhensibles. Minami s’écria : « C’est une incantation ! » Shinobi dégaina son arme pendant que ses compagnons cherchaient un endroit où fuir. Mais une seconde voix raisonna depuis la grotte : « Non, mon frère, as-tu perdu la raison ? C’est une noble personne, et elle porte un enfant divin. »

            Aussitôt, l’incantation prit fin. La seconde voix reprit : « Entre donc, Karisma, fille d’Aman. Toi et tes compagnons êtes les bienvenus dans notre retraite. »

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