Chapitre 9 - PORTES CLOSES

 

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PORTES CLOSES

Hiro referma son paquetage: il était heureux. L’aube n’allait pas tarder et, avec elle, la promesse d’un retour au pays. En effet, la veille, alors que le groupe et leurs nouvelles recrues avaient perdu la journée à faire des emplettes, des rapports étaient parvenus au palais indiquant que l’armée de Raj arrivait par le Daar, mais que le Naar était toujours accessible. En accord avec Rana, les compagnons décidèrent donc de conduire Karisma à Naarjing. La cité Naaresh avait déjà prouvé par le passé qu’elle était capable de soutenir un siège long de plusieurs années avec un rapport de force très désavantageux. Comme la veille, Hiro rejoignit ses compagnons dans le grand couloir qui longeait les appartements. Il y trouva Shinobi, Edgarde, Minami et Orchidia, tous bien armés et prêts à l’aventure. Amar arriva lui aussi, d’un pas nonchalant : « Eh bien, dit-il, même les filles sont prêtes ! - Pas toutes, réfuta le guerrier tout en inspectant le tranchant de sa lame à la lumière des torches. Il manque toujours notre très chère Karisma. - Tu parles d’un fardeau, dit le moine. Les femmes ne sont déjà pas faciles à vivre, mais les princesses sont encore pire. - C’est qui qu’est pas facile à vivre ? demanda Edgarde, en toisant Amar de toute sa hauteur.» Le moine jeta un petit regard moqueur à Shinobi avant de répondre : «Tu fais sûrement exception.» Une servante traversa alors le couloir et Minami, qui avait troqué son grand manteau de la veille contre une robe de soie aux larges manches à la mode Naaresh sous un corset de cuir fin, l’interpella : «Madame Karisma est-elle bientôt prête ? - Son Altesse vient de se réveiller, dit la jeune fille en s’inclinant respectueusement devant la petite troupe. Je me rends de ce pas aux cuisines pour donner les consignes de son déjeuner. - Mais nous sommes prêts à partir ! rétorqua Hiro.» La servante ignora sa supplique et passa les grandes portes au fond du couloir en direction de l’escalier. Edgarde dit alors à Amar : « T’avais peut-être raison pour les princesses. - On fait quoi, maintenant ? Elle va en avoir pour des heures, dit Hiro. - Allons en cuisine, proposa Shinobi. Profitons, nous aussi, du déjeuner de madame. » Attablé non loin des fourneaux, au milieu de l’agitation des cuisines, Le regard rêveur d’Hiro était tourné vers les petites lucarnes d’où perçaient depuis quelques temps maintenant les premiers rayons de soleil. Le Naaresh n'avait plus en tête que de retrouver sa terre natale. Ses collines couvertes de forêts, ses montagnes et leurs rizières baignées dans la douce brume du matin qui s'étendait depuis les ruisseaux et rivières. La province de Naarjing était imprégnée depuis toujours de calme et sérénité, un caractère propre que même la guerre du Maharaja n'avait pu lui ôter. À côté de lui, Amar était plongé dans une grande conversation avec Orchidia. Aidé de son lexique, il tentait d’en savoir plus sur la jeune femme, sa culture et surtout sa religion. En effet, les moniales étaient rares, tant dans le Tang-Shi que dans le Poojar, et le culte de Ô lui était encore inconnu. Il n'était pas encore parvenu à traduire cette étrange phrase que la jeune étrangère répétait si souvent en levant la tête au ciel, dès qu'il était question du rôle joué par les dieux dans leur aventure, et qui ne semblait pas être du Kauravi. Edgarde et Shinobi riaient grassement avec un petit groupe de soldats attablés plus loin, en se partageant une volaille rôtie, alors que Minami marchait lentement au milieu des commis, subtilisant ça et là quelques couverts précieux qu'elle cachait aussitôt dans ses manches, l’air de rien. L’apparente tranquillité de cette attente fut soudain interrompue par la brusque arrivée d’un soldat, visiblement un sous-officier à en juger par les ornements de son casque, qui lança à l’intention de ses collègues : « Les traitres arrivent ! On a besoin de tout le monde aux portes ! » Ni une ni deux, les soldats se levèrent comme un seul homme, abandonnant leurs ripailles, et quittèrent les cuisines au pas de course. Ils furent immédiatement suivis par Edgarde et Shinobi, à la fois curieux et las de cette inactivité. Voyant leurs amis sortir, Amar, Hiro, Orchidia et Minami en firent de même. Ils traversèrent le palais qui semblait alors en ébullition, mais cette activité n'était rien comparé à l'agitation qui régnait en ville. Partout, des cloches sonnaient depuis les remparts, les temples et les casernes. Les commerçants se précipitaient de fermer boutiques tandis que les habitants courraient pour regagner leurs maisons. Les soldats, quand à eux, convergeaient vers les murs et les portes. Les compagnons eurent beaucoup de mal à se frayer un chemin jusqu'à l'entrée de la ville. Un flot de peuple continu entrait dans la cité en provenance des villages alentour, pour se mettre à l'abri. Ils étaient encore nombreux à l'extérieur, parfois des familles entières sur des charrettes, essayant de sauver un minimum de leurs biens, poursuivis par des éclaireurs de l'armée de Raj, des pillards prenant plaisir à assassiner sauvagement des hommes et des femmes sans défense, quand les soldats ordonnèrent de fermer les portes. Amar protesta : « Vous ne pouvez pas faire ça ! Il y a des femmes et des enfants dehors. - Et des vaches sacrées, ajouta Hiro. - J'ai des ordres, je ne peux pas mettre en danger toute la ville pour une poignée de paysans, dit le soldat responsable des portes. En plus, l'armée ennemie est trop près. Envoyer des hommes serait du suicide et nous ne pouvons pas nous permettre d'en sacrifier. - Dans ce cas, laissez-nous y aller, proposa Shinobi. Nous retarderons ces bouchers le temps que le peuple puisse entrer. - Si vous souhaitez mourir en héros, dit le soldat en haussant les épaules. Mais je vous préviens, s'ils approchent trop près, je ferme. Shinobi dégaina son arme en guise d'assentiment et s'élança à l'extérieur, à la rencontre des pillards de Raj. Edgarde partit à sa suite, faisant des moulins avec sa redoutable arme à pointes en lançant des injures à tout va, suivie de près par Minami et Hiro qui encochèrent tout en courant une flèche sur leurs arcs. Et derrière eux, Orchidia et Amar se joignirent à la bataille. Au loin, un fermier armé d'une simple fourche tentait de protéger sa famille contre un groupe de tueurs. À cinq contre lui, ils le désarmèrent et le jetèrent au sol, le forçant à être témoin du massacre de ses proches avant de l'achever sauvagement en riant à gorge déployée. Sur cette route qui menait à la ville, les arbustes étaient rares. La ligne de mire dégagée, Minami et Hiro purent décocher leurs projectiles sur ces bouchers hilares. Deux d'entre eux se retrouvèrent ainsi au sol, dans le sang de leurs victimes, à se demander d'où pouvait provenir cette résistance inattendue. Edgarde et Shinobi fondirent sur les trois autres, abattant leurs armes avec rage et dégout. Puis ils coururent défendre un autre groupe de villageois un peu plus loin sur la route. Amar et Orchidia atteignirent la première charrette et aidèrent les enfants à descendre, enjoignant les parents à les porter jusqu'à la ville le plus vite possible et à abandonner là leurs effets et les vaches sacrées. A quelques pas de là sur la route du Daar, un homme tentait de déharnacher son précieux cheval de son chariot, dont une des roues avait cédé contre un rocher. Voyant les pillards s'approcher, Amar attrapa une petite pierre sur la route qu'il envoya voler avec sa fronde. Le projectile toucha sa cible sur la tempe. L'homme trébucha et s'écrasa contre le chariot accidenté. Orchidia se précipita à son tour vers le cheval et, de son saï, coupa le harnais, libérant ainsi l'animal qui prit le chemin de la ville avec son maître. Mais un autre boucher fondait déjà sur elle. Hiro qui avait suivi la scène décocha une nouvelle flèche. Le pillard la reçut dans l'épaule et s'étala sur le sol. Avide de sang, il se releva néanmoins et attaqua la moniale avec son tulwar à la lame déjà couverte de fluide écarlate. La blonde esquiva la première attaque, puis bloqua la lame de son adversaire dans son arme et lui envoya un puissant coup de coude dans le nez. L'homme fut déséquilibré et ne put éviter les coups suivants, si puissants qu'il sentit ses os se briser avant de s'écrouler une bonne fois pour toutes, agonisant. Maculée de tâches poisseuses après avoir brisé trois crânes ennemis, Edgarde aperçut une nouvelle troupe de pillards arriver sur le croisement devant les portes depuis la route du Naar. Devant eux, une dizaine de paysans désarmés fuyaient en hurlant. Ils furent rapidement rattrapés et deux femmes périrent sous les coups des bouchers de Raj avant qu'Edgarde ne puisse s'interposer. La grande barbare récolta quelques blessures car elle se retrouva bloquée en partie par une charrette, tirée par des bêtes apeurées. Ses ennemis savaient manier leurs armes mais, épaulée par les flèches de Minami qui avait suivi son déplacement, elle parvint à s'extirper d'entre les vaches et à éliminer la menace. Shinobi, maintenant seul à une centaine de mètre de la porte, acheva sa dernière victime d'un estoc parfait en pleine poitrine et prit le temps d'évaluer la situation. Les derniers civils venaient de passer le cordon protecteur créé par les défenseurs au croisement des routes et regagnaient la sécurité de la cité. Au loin, un nuage de poussière témoignait de l'approche massive des troupes de campagne du nouveau Maharaja. Il était temps de se replier. Hiro et Minami décochèrent encore quelques flèches afin de couvrir leur retraite et tous se retrouvèrent en sécurité derrière les hauts murs rouges lorsque les lourdes portes sculptées de Mohabat se refermèrent. Les compagnons furent congratulés par les chants des soldats en faction aux portes et remerciés chaleureusement par les civils qu'ils sauvèrent ce matin là. Ils furent ensuite invités à monter aux remparts et purent contempler au loin les camps ennemis se mettre en place, alors que devant les portes, les pillards détroussaient librement les corps que Shinobi et les siens n'avaient pu protéger. Orchidia s'offusqua et Amar traduisit à un officier : « Pourquoi les laissez-vous faire ? Ils sont à portée de vos flèches. - Oui mais ces gens sont morts. S'ils ne menacent pas directement la cité, j'ai ordre de garder un maximum de munitions. Abattre même une dizaine de ces chiens aujourd'hui ne servira à rien. » Tout autour des murs, c'était le même spectacle: des civils massacrés; des cris, des pleurs, puis le silence et enfin les rires ignobles des pillards lorsqu'ils récupéraient leur butin. Ne supportant plus cet odieux spectacle, les compagnons descendirent du chemin de ronde et reprirent la route du palais. Sa nostalgie transformée en tristesse, Hiro dit à Amar : « Ils étaient encore si nombreux dehors... - Nous en avons sauvé près d'un cinquantaine ! Dit le moine pour le rassurer. - Oui, mais tu as vu, ce n'était rien comparé aux morts. - Chaque vie sauvée est inestimable, Hiro. Nous sommes des héros pour ces gens. Ils sont en sécurité grâce à nous. - Pour combien de temps ? Raj est aux portes de la cité. Comment allons-nous sortir Karisma d'ici maintenant ? - C'est vrai, je l'avais oubliée. Prête ou non, ça n'a plus vraiment d'importance, maintenant, ironisa le semi-esprit. Tous ce que j'espère c'est qu'il existe un moyen de sortir, je ne me vois pas enfermé en ville pour soutenir un siège. - C'est étrange, dit Hiro, vous les moines devaient pourtant être habitués à l'enfermement. - Sauf que moi, je ne vivais pas au monastère, mais ici, en ville. Amar eut un rire nerveux. Dire que je ne suis même pas repassé par ma loge. De toute façon, après deux saisons d'absence, ce ne sera déjà plus chez moi. - Nous sommes partis depuis si longtemps maintenant. Il en sera certainement de même de ma ferme. Cette quête nous aura fait tout perdre. Moi qui rêvait déjà de chez moi. Je crois bien que rentrer à Naarjing n'est plus d'actualité. » Sur les marches du palais, l'intendant les attendait de pied ferme: « Loués soient les dieux, dit-il, aussitôt imité par la curieuse prière d'Orchidia. Vous êtes vivant ! Venez vite, Sœur Rana souhaite s'entretenir avec vous. - Sans blague, lâcha Edgarde en essuyant une goutte de sang qui lui coulait du nez avec son avant bras. » Feignant d'ignorer ce geste impropre, en particulier chez une dame, l'intendant invita Amar et son groupe à le suivre dans le palais. Il les conduisit dans la grande salle d'audience, où Rana, assise sur son estrade au milieu de coussins brodés, avait bien évidemment réuni tous ses conseillers. Quelques pas sur sa droite, Karisma se tenait debout, dans une tenue de voyage bien plus pratique et plus aguichante qu'à son habitude, composée d'un petit haut décolleté à manches courtes de couleur bleu pâle ainsi que d'une jupe mi-longue de même couleur, comme en portaient souvent les Filles de Piya. Son ventre nu était parfaitement visible. Sa chevelure tressée ne portait aucun ornement, mais une large ceinture de cuir à sa taille retenait un magnifique khanjarli de très bonne facture. Enfin, elle avait troqué ses sandales contre une paire de bottines très semblables aux grandes bottes que portait Jodha la veille. Mais ce qui surprit plus que tous ses compagnons fut de retrouver Jodha auprès des deux femmes, toujours armée, son sac en bandoulière par-dessus sa tunique de cuir. En les voyant, l'ex-danseuse les rejoignit, avant que le héraut ne les annonce officiellement. Rana dit alors : « Je vois qu'une fois de plus vous méritez mes respects. Ainsi que les louanges du peuple de ma cité. « Malheureusement, comme vous avez pu le constater, nous n'avons que trop tardé et l'ennemi est maintenant à nos portes. La fuite vers le Naar vous est désormais impossible. - N'y a t-il pas un autre passage ? Une poterne qui nous permettrait de quitter la ville pour atteindre la rive du Haut Ishk ? s'informa Shinobi. - Non, toutes les anciennes portes furent condamnées et les murs renforcés depuis le dernier siège. Il n'existe pour vous qu'un seul et unique moyen de mettre ma Sœur en lieu sûr : le Lac. - Pardonnez moi, intervint Amar, mais il est impossible pour une embarcation, quelle qu'elle soit, de remonter le Haut Ishk sans un attelage sur la rive pour lui faire braver le courant. Et si on ne peut quitter la ville... - Je sais, coupa la souveraine, mais le problème ne se posera pas, car vous ne remonterez pas le fleuve. » L'assemblée se tut, stupéfaite. Ne pas remonter le fleuve ne pouvait signifier qu'une chose : cette petite compagnie devrait affronter les territoires sauvages et inconnus du Voo. Rana reprit: « En ce moment même, le Capitaine Murugan et ses hommes préparent ma galère personnelle afin que vous traversiez le lac et descendiez l'Ishk. Vous assurerez ensuite la sécurité de Karisma en l'accompagnant là où Raj n'ira jamais la chercher : dans la forêt de Dorma. Restez-y cachés jusqu'à la naissance de l'Enfant qui nous libérera tous. Telle est votre mission, et que les dieux vous protègent ! » Comme à l'accoutumée, Orchidia dit sa prière à la mention des dieux. Les compagnons s'inclinèrent devant Rana, en signe d'acceptation. Rana donna ensuite la parole à un de ses conseillers militaires, et Hiro dit à Jodha : « Alors, tu es de retour parmi nous ? - Oui, et pour longtemps, il semblerait. - Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? - J'ai simplement fait une rencontre. J'ai pris conscience que je ne pouvais fuir ma destinée. - Je suis heureux de te retrouver parmi nous, dit Hiro. - Pas moi, dit Amar, arrachant un regard stupéfait à tous ses compagnons. Maintenant nous sommes en infériorité numérique, ajouta t'il avec un petit sourire. - C'est vrai, dit Jodha qui ne remarquait que maintenant la présence des trois nouvelles têtes de la compagnie. Être entouré de tant de femmes doit être très difficile à vivre pour un moine. Peut-être préfèrerais-tu rester ? - Non, merci. Je pense qu'Hiro, Shinobi et moi saurons vous empêcher de faire trop de bêtises jusqu'à la naissance de l'enfant. Et là, le rapport de force sera largement en notre faveur, dit Amar. » Jodha se mit soudain à rire. Amar, irité, demanda: « Qu'y a-t-il de drôle ? - Et bien, intervint Minami, rien ne nous dit que "l'Enfant" sera un garçon. - Tu es Naaresh, toi aussi ? demanda Jodha. - Oui. De Pandava, dans la vallée blanche. Les montagnes me sont plus familières que ces plaines. Voici Edgarde, de Ratlam, continua Minami en désignant la femme au regard belliqueux qui se tenait à sa droite, et Orchidia qui nous vient semble t'il du Gavanesh. Elle ne parle pas notre langue. - Pas encore, rectifia Amar, mais nous allons y remédier. J'ai avec moi ce lexique qui.. - Comment vous êtes-vous retrouvées ici ? demanda Jodha à Minami en ignorant superbement Amar. Vous venez de tellement loin. - Nous avons rencontré vos amis à la taverne, lorsque nous nous sommes éveillées. » Karisma rejoignit le groupe accompagnée d'un soldat, portant un turban bleu, un plastron argenté marqué d'une colombe par-dessus un uniforme blanc dont le pantalon lui arrivait aux genoux. Il arborait une magnifique moustache mais ses pieds étaient nus. La princesse prit la parole : « Ce contretemps est regrettable, et j'ai conscience que c'est en partie ma faute. Nous pourrions déjà être loin d'ici à l'heure qu'il est. Je sais ce que vous pensez de moi, dit-elle en regardant Shinobi et Amar, et je pense que les dieux m'ont déjà punie, condamnée à une errance dans la jungle plutôt qu'un palais dans le Naar. Voici Ramu, continua t'elle en désignant le soldat, c'est l'un des marins de Rana. Rassemblez vos affaires, il nous conduira à la galère. - Le Capitaine Murugan vous attend, prêt à appareiller avant l'aube, dit Ramu. - Nous sommes prêts, dit Hiro. Nous n'avons qu'un âne à récupérer. - Je pense qu'il est préférable qu'il reste ici, dit le soldat. La galère n'est pas bien grande et les animaux supportent mal la navigation. Et en ce qui concerne la suite de votre voyage, la jungle n'est pas un environnement idéal pour un âne. - Dans ce cas, dit Amar, vous pouvez nous conduire dès maintenant au Lac. Nous transportons tout ce que nous possédons. - Comme vous voudrez, mais cela ne nous fera pas partir plus tôt. Suivez-moi ! » Tous suivirent le soldat hors de la grande salle, laissant Karisma derrière. La princesse s'indigna : « Mais... qui vas porter mes malles ? - Comme je l'ai dit à vos compagnons, répondit Ramu sans s'arrêter, il n'y a pas de place dans la galère. Prenez le strict minimum. » Karisma souffla et fit signe à ses servantes de la suivre avec un petit coffre. Elle rattrapa Amar qui lui demanda : « Vous comptiez nous les faire porter ? - Oui, je suis une Sœur ! - Non, pour le moment, vous êtes une exilée. Je suis désolé pour vous, mais il va falloir vous y faire. Vous quittez le confort des palais pour longtemps. » Karisma s'arrêta, choquée par le ton du moine, ne sachant que répondre. Puis elle se résigna et suivi ceux qui partageraient son quotidien pendant les longs mois à venir, en pleine forêt sauvage, loin de la civilisation. Deux heures avant l'aube, la petite galère de cérémonie peinte de bleu et de blanc, dont la proue était ornée d'un éperon en forme de colombe d'argent, s'éloigna enfin du quai et ses rameurs battirent les flots pour l'élancer sur le lac. Rana et sa cour la regardèrent s'éloigner. Tous leurs espoirs étaient concentrés dans l'enfant à naître qu'ils envoyaient maintenant dans le territoire le plus hostile qui soit. Une larme perla sur le visage de la souveraine de Mohabat. Elle savait qu'elle ne reverrait plus sa nouvelle Sœur car, lorsque Karisma reviendrait en Sardesh, son corps reposerait parmi ceux des victimes de Raj dans les ruines de Mohabat. *** Après avoir traversé le camp au grand galop, Raj stoppa sa monture et mit pied à terre. Il retrouva le capitaine Khan sur la ligne de front. Devant eux se tenaient les hauts murs de Mohabat, mouchetés à intervalle régulier de la lueur des torches des soldats en faction. « Mon Seigneur ! » le salua Khan en s'inclinant face au Maharaja. Raj huma l'air de cette fin de nuit et tourna le regard vers le Naar. Le ciel commençait tout juste à s'éclaircir sur l'horizon. D'un ton égal, il dit sans même regarder son interlocuteur: « Le jour se lève, capitaine. Illuminons leur journée. » Khan leva alors le bras en se tournant vers la cité. Il murmura une prière à Shivalinga, afin que ses soldats aient une mort honorable. Autour de lui, les hommes chargèrent les catapultes avec des projectiles enflammés. Quand toutes les armes furent prêtes, Raj remonta sur son cheval et dit : « Ne cesse l'attaque que lorsque la ville sera à moi. » Le capitaine abattit son bras et une pluie de feu s'envola vers la cité, alors que les soldats se rangeaient en ordre de bataille entre les machines de guerre. La seconde bataille de Mohabat venait de commencer.

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