Chapitre 6 - TEMPLES

6 TEMPLES

Narayan se réveilla en sursaut. Des images du massacre de Sotender lui revenaient sans cesse dans son sommeil. Il eut le réflexe de se rattraper à une branche, sans quoi il se serait retrouvé dix mètres plus bas, au pied de l’arbre où il avait passé la nuit. Il avait retrouvé ses esprits au second lever de soleil après le coup d’état. Par chance sa course folle l’avait conduit dans la bonne direction. Il tenta de remonter encore pour mieux voir d’où provenaient les bruits qui l’avaient réveillé, tout en restant dissimulé derrière les rares feuilles du banian. L’arbre seul semblait constituer un petit bosquet, à une trentaine de mètre de la grande route reliant Guntur à Surat. Là, une petite armée battant l’étendard pourpre soulevait un nuage de poussière. Narayan compta près de deux mille fantassins, dont certains portaient encore leur tabard vert de Dorma, ainsi qu’une centaine de cavaliers et une douzaine d’éléphants. Narayan n’en avait aucun doute, cette troupe allait prendre Surat et en faire un bastion en attendant le gros de l’armée, qui marcherait bientôt sur Voojing, sa province. Il attendit que les derniers hommes aient disparu à l’horizon pour descendre en se laissant glisser le long d’un des nombreux troncs du banian. Il abandonna sa robe de cérémonie déchirée et souillée et partit en courant, à moitié nu, vers Surat. S’il atteignait la ville avant l’armée de Raj, peut-être pourrait il rallier la garnison de la ville frontière à sa cause et retarder l’avancée du tyran. Cela lui permettrait ensuite de préparer sa propre armée pour la guerre à venir. *** Au coin d’une grande table remplie de victuailles, sur l’immense terrasse du palais qui dominait Mohabat, Rana et Karisma entamaient leur petit déjeuner. En cette deuxième moitié d’Ekanga, le mois de printemps, le soleil était déjà fort appréciable dans la province. Le regard perdu vers le Daar, Karisma repensait à son père, et à Daarjing qu’elle avait laissé loin derrière elle. Mais Rana la tira hors de ses pensées : « Ce que tu m’as raconté hier soir sur ce Korobokuru me laisse perplexe. - Tu n’es pas la seule. J’étais persuadée que Raj était derrière cette affaire. - Tu lui fais confiance ? s’étonna Rana. Qu’il ait nié être impliqué ne veut rien dire. Et si ce n’est pas lui, alors quelqu’un d’autre a envoyé ce mage. Qui et dans quel but ? Cela reste un mystère. Mais je suis tout de même rassurée de savoir que tu n’es pas réellement éprise de ce Lord Jameston. Cela aurait pu être une catastrophe pour la Confrérie. - Au point de la faire sombrer dans la guerre civile ? ironisa Karisma. - Tu as raison, la traitrise de Raj est pire que tout. Mais il nous a au moins permises de nous retrouver toi et moi. - Un moindre bien pour tout ce mal ! soupira la jeune femme. Dorma est tombée, Peejing a rallié Raj, Vishnu est à moitié mort, Narayan a disparu, Daarjing est abandonnée et Naarjing ne saura se défendre sans seigneur à sa tête, si proche des montagnes. Comment peux-tu encore voir du bien en ce monde ? Au bord des larmes, Karisma fixa Rana dans les yeux. Il ne reste peut-être plus que nous pour défendre la Confrérie. Ce combat est perdu d’avance, si hautes que soient les murailles de ta cité, Rana. » La Sœur lui prit les mains dans les siennes et dit : « Non, nous ne sommes pas seules. Tu as su t’entourer d’amis vaillants et courageux prêts à sauver la Confrérie au prix de leur vie, et je suis persuadée qu’il y en a de nombreux autres. Les hommes n’ont pas le cœur à se laisser priver de leur liberté sans la défendre. « Après notre conversation d’hier soir j’ai réuni à nouveau mes conseillers. Quand tes amis nous auront rejointes, je pourrai leur annoncer leur mission. Si comme je l’espère ils réussissent, alors nous ne pourront que vaincre. Garde espoir, Karisma. Je sais que tu as prit ton rôle de Sœur au pire moment possible, mais c’est ta capacité à garder confiance en toi et ton sang froid qui feront de toi un bon seigneur pour ton peuple. J’ai confiance en toi, mais tu ne dois jamais perdre espoir. » Karisma releva la tête, respira profondément et le regard plongé dans les flots bleus des yeux de Rana, elle s’efforça de reprendre une contenance. Une clochette sonna et par l’une des nombreuses portes vitrées qui ouvraient sur le balcon apparurent les quatre compagnons de la Princesse. Elle mit un temps à les reconnaître car ils étaient inhabituellement propres et portaient des vêtements neufs. Aucun ne portait d’arme, ou ne semblait en porter. Ils s’inclinèrent chacun leur tour aux pieds des deux femmes et prirent place autour de la table sur les sièges que les serviteurs leur indiquèrent. Amar fut le premier à prendre la parole, en s’adressant à Rana : « Madame, nous vous remercions pour votre hospitalité, ainsi que vos présents. C’est un immense honneur que vous nous faites et je parle au nom de mes compagnons, nous ne nous en sentons pas dignes. - Moine, vous avez retrouvé et protégé ma Sœur durant ce périlleux voyage. C’est grâce à vous qu’elle se trouve ici, avec nous, ce matin. Vous méritez toute ma gratitude et mille fois l’honneur que je vous fais. - Madame, dit Jodha, cela est certainement vrai pour eux, mais je n’ai personnellement affronté aucun danger… - Mais vous allez le faire, la coupa Rana. Vous faites désormais partie de ce groupe, de cette compagnie et vous partagez son destin. Jodha, tout comme eux les dieux vous ont conduite à nous car c’est ici et maintenant que va se jouer la survie de la Confrérie. Les dieux vous ont choisie. « Vous n’êtes pas sans savoir que jadis les dieux vivaient parmi nous. Ils accordaient même audience à quiconque le méritait pleinement. Mais il y a deux cent trente-sept ans, les dieux ont quitté la Terre et nous ont laissé seuls. Cependant ils auraient laissé derrière eux les moyens pour nous de les contacter dans leurs Royaumes Célestes. Mes conseillers et moi-même avons longuement réfléchit, et nous sommes tous convaincus que l’heure est assez grave pour les appeler à l’aide. C’est pourquoi nous avons décidé de vous envoyer rechercher la Pierre Prophétique. - La Pierre Prophétique ! s’exclama Hiro. Je croyais que ce n’était qu’une légende. Serait-ce vrai ? - Tout porte à croire qu’elle existe bel et bien. Nos historiens et brahmanes ont ici accès à de très anciens manuscrits évoquant la pierre. - Ces manuscrits nous indiquent-ils où la chercher ? demanda Shinobi. - Malheureusement, non. Pas avec précision. - Mais alors tu les envoie chercher une aiguille dans une botte de foin ! s’écria Karisma. Comment retrouver une pierre dans toute la Confrérie ? » Rana fixa la jeune Princesse d’un regard réprobateur, l’enjoignant à reprendre son calme. Visiblement la leçon sur le contrôle de soi n’était pas encore apprise. « Savez-vous au moins à quoi elle ressemble ? demanda Jodha. Est-ce un simple caillou, une pierre précieuse ? - Nous n’avons trouvé aucune description de la Pierre. La seule bonne nouvelle que je puisse vous donner est qu’elle semble se trouver près d’ici, quelque part autour du Lac. Je n’ai pas plus de précision. Mécontents de nous, il semble que les dieux aient effacé de la mémoire collective l’emplacement de cet artefact, comme toutes les traces de leurs demeures sur Terre. - Vous recherchez la Pierre depuis longtemps, mais vous ne l’avez jamais trouvée, intervint Amar, qui n’avait pas quitté Rana du regard. - C’est exact, dit Rana, étonnée. Mais je suis persuadée que vous, vous la trouverez. - Parce que nous sommes guidés par les dieux ? Mais quels dieux ? demanda le moine. Je suis pratiquant du Tang-Shi, exposa t’il, et Shinobi est Hengeyokaï. De plus, un de nos compagnons a déjà péri. Cela ne fait pas vraiment de nous les envoyés d’Asmald. Alors, Madame, envisagez-vous la possibilité de vous tromper ? - Croire en la défaite est un luxe que je ne peux me permettre aujourd’hui, moine, répondit la Sœur en ignorant le défi théologique lancé par son interlocuteur. Maintenant veuillez m’excuser mais j’ai une province à protéger d’une invasion imminente.» Elle se leva et dit à la tablée : « Mangez, prenez des forces, vous partez avant le zénith. » Puis elle quitta le balcon, entraînant à sa suite une demi-douzaine de serviteurs. Ils mangèrent en silence. Tous sauf Karisma, qui continuait de regarder dans le vide, le visage fermé. Elle ruminait tous ses malheurs. C’était comme si son monde s’écroulait un peu plus chaque jour. Jodha, qui avait remarqué sa tristesse, se leva et vint s’assoir à côté de la Princesse. Elle posa la main sur son bras et lui dit : « Madame, je sais que nous ne nous connaissons pas, mais vous pouvez avoir confiance en nous. Je ne peux pas vous promettre que nous réussirons, mais je vous promets que nous ferons le maximum pour trouver cette Pierre et pour que cette guerre civile ne soit bientôt plus qu’un mauvais souvenir. » Karisma quitta alors ses mauvais songes et offrit à la jeune femme un de ses rares sourire : « Merci, Jodha. Si seulement il n’y avait que cette guerre. Cette année mes propres malheurs sont légion. Mais votre mission ne me concerne pas. Vous avez entre vos mains le destin de tout un peuple, c’est pour tous ces gens que vous devez réussir, dit-elle en désignant du menton la ville qui s’étendait au pied du palais. - En tout cas moi, cette mission me plaît bien, dit Hiro. Retrouver un objet divin légendaire, ce n’est pas rien. - Je te suis sur ce point, mon ami, dit Shinobi. Surtout si on la compare à courir après une enfant gâtée capricieuse ! » Tous les regards se tournèrent vers Shinobi, celui de Karisma étant particulièrement foudroyant. Pendant quelques secondes, le guerrier se senti vulnérable sans sa choora et se prit à craindre pour sa vie. Finalement la Princesse se leva d’un bond et quitta à son tour le balcon d’un pas pressé. Shinobi put reprendre une respiration normale, alors qu’Amar et Hiro luttaient pour réprimer un fou rire. Jodha demanda alors au guerrier : « C’est elle l’enfant capricieuse ? » En guise de réponse, Shinobi détourna le regard. Jodha lança alors : « Tu as raison, Amar, on se demande vraiment quel dieu vous a envoyés ! » Hiro, maintenant revêtu de son armure de cuir, ses armes aux côtés et son sac en bandoulière, parcourrait les longs couloirs du palais au pas de course. Il semblait ignorer parfaitement le magnifique paysage qui s’étendait sous les larges fenêtres, les immenses peintures représentant des scènes de batailles antiques, les hautes statues de grands seigneurs, guerriers ou danseuses et les innombrables chandeliers dorés et autres objets de grande valeur incrustés de pierres précieuses. Soudain il s’arrêta et revint sur ses pas. La grande porte de bois sculptée devant laquelle il venait de passer était entrouverte, et il lui sembla avoir vu dans l’entrebâillement ce qu’il recherchait maintenant depuis près d’une heure. Il ouvrit la porte en grand et celle-ci grinça fortement, faisant sursauter Amar. « Par les dieux, Hiro ! lâcha le moine tout en reposant sur l’étagère devant lui le lourd volume qu’il avait en main. - Shinobi m’envoie te chercher. Je te rappelle que nous devions partir avant le zénith ! - Ah, oui… dit le moine, confus. Et quelle heure est-il ? - Il est passé d’une heure, bientôt. Que fais-tu ? » Tout en posant la question, Hiro se rendit compte qu’il n’avait pas étudié la pièce où il se trouvait. C’était une pièce carrée, de taille appréciable ne présentant aucune fenêtre. Le plafond culminait à une dizaine de mètres, sculpté en forme de dôme. Une chaîne dorée maintenait suspendu un énorme chandelier qui illuminait la pièce, à mi-hauteur. Les murs quand à eux étaient cachés derrière une quantité impressionnante de livres rangés sur des étagères qui faisaient le tour de la pièce. Au centre se trouvaient quatre petit bureaux, chacun muni d’une lampe, mais une seule était allumée sur l’unique bureau où trônait une pile de vieux livres. Les dalles du sol étaient ici recouvertes de lourds tapis qui atténuaient le bruit des pas. Amar répondit : « Je me documentais. Que ferais-je sinon dans la bibliothèque ? - Mais, on t’attend, dit Hiro, depuis… - Depuis une heure, le coupa Amar, mais pour aller où ? Shinobi et toi savez-vous seulement par où commencer ? - Pas exactement, on pensait aller se renseigner en ville, pour commencer. - C’est inutile, il n’y a aucun indice à Mohabat. Si vous étiez venus ici au lieu de coller Jodha comme des mouches vous le sauriez. - Mais non, protesta Hiro. » Amar l’ignora et continua, tout en se rapprochant de sa montagne de livres posée sur le bureau : « Si j’en crois ces ouvrages, et Rana, les dieux du Poojar ont caché la Pierre prophétique. Donc ils ont eux même laissé les indices pour la retrouver et entrer en contact avec eux. Mais les hommes n’ont jamais cessé d’essayer d’entrer en contact avec les dieux, même sans la Pierre, je me trompe ? - Tu as raison, par la prière, dit Hiro. - Et où prie-t-on les dieux ? - Dans les temples ! Alors tu penses que la Pierre est cachée dans un temple ? - Si la Pierre n’y est pas, on y trouvera au moins des indices sur sa cachette. Toujours d’après ces livres, je pense qu’il est inutile de chercher dans les temples de la ville, ils ont été passés au peigne fin depuis deux siècles par tous les chercheurs de trésors. Ce ne serait qu’une perte de temps. Non, je pense qu’il est préférable de faire le tour du Lac en passant par tous les villages. Tous renferment au moins un petit temple, l’un d’eux nous mènera à la Pierre. - C’est un bon plan. Alors tu es prêt ? - Presque, dit Amar. Il attrapa une petite pile de manuscrits posés à l’écart sur la table et la rangea dans ses affaires. Je suis prêt ! » Devant le regard interrogateur de son congénère, le moine ajouta : « Le bibliothécaire m’a dit que je pouvais garder ceux-là, ils sont courants. » *** Narayan courrait toujours. A moitié nu, le Frère de Sardesh utilisait ses dernières forces pour échapper à ses poursuivants. Il lui avait fallu la demi-journée pour contourner les forces de Raj et les devancer. Mais à pied il n’avait pas pu les distancer suffisamment. Inévitablement, des éclaireurs l’avaient repéré et pris en chasse. Par malheur, le petit bois qui gênait la progression des cavaliers touchait à sa fin, et Narayan se retrouva de nouveau à découvert, sur la route. Son cœur battait à tout rompre, mais pas encore assez fort pour masquer le fracas des sabots sur la terre battue et les cailloux. Les arbres lui avaient permis de prendre une avance d’une centaine de mètres, mais les chevaux au galop allaient bientôt le rattraper. Soudain une flèche siffla à son oreille. Puis une seconde ricocha sur une pierre devant lui, et repartit en tourbillonnant dans sa direction. Il reçu le corps du projectile dans la poitrine et le fer lui entailla légèrement le côté. Il tomba. En recrachant la poussière qui recouvrait son visage, Narayan murmura une dernière prière à Devisha et Brakta, dieux de la Mort et de la Justice, afin d’être vengé dans cette vie ou la suivante. Mais la mort ne vint pas. Toujours au sol, il se retourna et vit les cavaliers s’éloigner à l’horizon sur la route de Guntur. Il se releva alors lentement et regarda vers le Daar. Entre les champs, derrière une petite butte, il aperçut au loin le mur de Surat et une petite patrouille qui s’avançait vers lui. Il lui faudrait donc encore attendre avant de mourir. *** La journée touchait à sa fin. Les derniers rayons de soleil illuminaient d’une couleur orangée la façade du temple de Piya. En longeant le Lac par le Daar, les compagnons avaient traversé une dizaine de petits villages de pêcheurs. Les temples de ces villages étaient pour la plupart dédiés aux Grands dieux, et si petits que leur fouille fut très rapide, bien qu’un seul des compagnons soit autorisé à entrer en échange d’une offrande. Par chance, ils avaient réussi à atteindre la petite ville de Soniya avant la nuit. C’était la dernière ville avant d’entrer dans la forêt de Dorma, qui marquait la limite Voo de la Province et de la Confrérie. Piya, déesse de la Paix, de la Beauté et de l’Amour ne faisait pas partie des Grands dieux, mais la moitié Voo de la Province du Lac lui était particulièrement fidèle. Le lac lui-même portait son nom. D’après Rana, le palais de Mohabat était autrefois sa demeure terrestre, bien que cela n’ai jamais pu être prouvé. Jodha passa de nouveau la porte et rejoignit ses compagnons qui attendaient devant le temple, admirant les sculptures très détaillées de scènes d’amour. « Amar, je pense que j’ai trouvé quelque-chose, dit la jeune femme. Tu devrais aller jeter un œil. - Un indice ? - Je pense. Une peinture, au sous-sol. » Amar récupéra son sac et son bâton, appuyés contre le mur et entra dans le temple. Jodha s’assit sur les quelques marches devant la porte et profita du coucher de soleil alors qu’Hiro continuait d’admirer la façade. Shinobi vint s’asseoir à côté de Jodha : « Un temple de Piya avec un sous-sol ? s’étonna-t-il. Qu’as-tu promis au prêtre pour qu’il t’y conduise ? - Je sais me montrer persuasive. - Vraiment ? - Les brahmanes s’intéressent à d’autres choses que toi, répondit sèchement la jeune femme. » Puis elle poussa un long soupir, ses yeux devinrent humides et une larme coula lentement sur sa joue. « A quoi penses-tu ? demanda le guerrier. - A ma vie d’avant… - Elle te manque ? - Non, loin de là. La vie des Filles de Piya est une vie dure. Mais cette vie m’a appris à développer de nombreux talents. Aujourd’hui je les mets au service d’une cause juste, je me dis simplement que c’est ce que j’aurais dû faire depuis longtemps. - Je te comprends. J’ai moi aussi combattu sans but avant d’être choisi pour cette quête. Cela ne fait qu’une saison maintenant que je me sens accompli. Alors pas de remords, pas de regrets ? demanda Shinobi avec un sourire. - Non, je ne déplore qu’une chose, la perte d’un objet qui m’était précieux. J’espère qu’il est toujours chez moi à Amaravati. - Un bijou ? demanda Hiro, qui était revenu auprès de ses compagnons après avoir fait le tour du bâtiment. - En quelque sorte, dit Jodha, énigmatique. Les hommes convoitent souvent ce qu’ils ne peuvent s’offrir. C’est un collier. Je l’ai confectionné moi-même, avec ce que j’ai prélevé chez les mauvais payeurs. - Des pièces d’or ? - Plutôt des pièces… de leur anatomie. » Un brahmane conduisit Amar jusqu’à une petite porte de bois, au fond du temple, derrière l’élégante statue de Piya. Une multitude de fleurs, de bougies et de bijoux était entassée à ses pieds. Le brahmane tendit une lampe à Amar et lui fit signe de le suivre. Ils passèrent la porte, munie d’une grande quantité de serrures. Ils descendirent un escalier sombre et raide et arrivèrent dans une grande cave humide, partiellement inondée. Pataugeant dans quelques centimètres d’eau, ils longèrent une rangée d’étagères sur lesquelles étaient entreposés des flacons et des fioles de verres. Certains étaient vides, d’autres remplis de liquides de différentes couleurs. La plupart devaient être là depuis longtemps à en juger par la couche de poussière qui les recouvrait. Ils atteignirent un mur de pierre brute au fond de la cave et le brahmane désigna la paroi : « Voilà ce qui a attiré l’attention de votre amie. Je vous laisse l’étudier, je vous attends en haut de l’escalier. Surtout ne touchez à rien. » Il s’en alla et Amar regarda le mur. A la faible lueur de la lampe, il distinguait vaguement un dessin sur la paroi. Il déposa alors la lampe sur une étagère vide et incanta rapidement un sort de lumière qu’il cibla sur son bâton. Aussitôt il se mit à luire d’une vive lumière qui dévoila au moine une antique peinture à même la roche. Il appuya son bâton contre la paroi et fouilla dans son sac. Il en sortit un petit morceau de parchemin, une plume et un petit encrier et se mit à reproduire l’image. On y voyait clairement représenté le lac Piya. La peinture légèrement écaillé n’avait rien perdu de son éclat bleuté. De chaque côté du lac, des masses de couleurs vertes et brunes rappelaient la forêt de Dorma sur l’une des rives, et la jungle de Shatrani sur l’autre. Mais le réel indice se trouvait en plein centre de l’image. Un grand bâtiment doré aux allure de temple se tenait là, semblant flotter sur les eaux du lac. La lumière magique projetée par le bâton du moine se reflétait si intensément sur la peinture dorée qu’Amar en fut ébloui. Il était incapable de tracer les contours exacts du temple. Il termina rapidement son croquis et quitta le sous sol. Il en était certain, de toute sa vie il n’avait jamais entendu parler de la moindre île sur le lac, du moindre bâtiment et encore moins d’un temple doré. Il tenait là une piste vers quelque chose de divin. Mais était-ce la Pierre Prophétique ? Hors du temple, Amar déplia son parchemin et fit partager la découverte de Jodha au reste du groupe. La nuit était maintenant tombée, et tous regardaient par dessus son épaule, éclairés par le bâton. Amar dût expliquer son croquis en partie, puis se tut, laissant ses amis réfléchir. Shinobi fut le premier à prendre la parole : « Tu avais raison, moine. C’est bien dans un temple que l’indice était caché. - Oui, dit Hiro, et dans un autre temple que nous trouverons la Pierre. Il ne nous reste plus qu’à voguer jusqu’à elle. - Attendez, intervint Jodha, rien ne nous dit que ce temple renferme la Pierre. Ce pourrait être autre-chose, la demeure terrestre de Piya, par exemple. - Et ce n’est pas tout, ajouta Amar. Je suis absolument certain qu’il n’y a rien sur le lac. » Ils réfléchirent à nouveau en silence. Cette fois ce fut Hiro qui le brisa : « Il n’y a donc que deux solutions, si le temple existe encore. Soit il est rendu invisible, par magie, soit il est sous l’eau. Dans les deux cas, il n’y a qu’une chose à faire : trouver une embarcation et voguer sur le lac. » Bien que la conclusion d’Hiro fut la même que la sienne, le visage d’Amar se ferma à la mention de naviguer sur le lac. Shinobi remarqua sa réaction et lui demanda : « Que se passe-t-il, moine, tu ne sais pas nager ? - Non, loin de là. Mon père était l’esprit d’une rivière. L’eau et moi avons une grande affinité : aller sur l’eau ou sous l’eau ne me pose aucun problème. Mais le lac Piya est dangereux. Les côtes sont sûres et les pêcheurs y travaillent sans danger. Mais d’après cette peinture, le temple se trouverait au centre du lac, ou des créatures dangereuses ont élu domicile. S’y rendre ne sera pas aussi simple qu’il y paraît. - Et alors ? dit Jodha. J’avais cru comprendre qu’en partant avec vous je m’engageais dans une quête périlleuse. Jusqu’à présent j’ai l’impression d’avoir vécu avec vous les trois jours les plus tranquilles de mon existence. - Bien, c’est décidé, nous partirons sur le lac, dit le guerrier, mais pas avant une nuit de repos. Trouvons un endroit où dormir et vérifions notre équipement. En route ! » Les compagnons quittèrent alors les marches du temple à la recherche d’une auberge dans la petite ville de Soniya qui sombrait peu à peu dans la nuit. *** Du haut de la petite colline, son amure brillant sous la pâle lumière de la lune, le cavalier observait la ville au loin. Des torches commençaient à illuminer les remparts, preuves que l’armée adverse en avait maintenant prit possession. Le cheval renâcla et fit un écart, pressé de reprendre sa place dans la colonne, mais son cavalier tira sur les rênes pour maîtriser sa monture. Il voulait voir le spectacle jusqu’au bout. Les soldats de Raj avaient dû être surpris de trouver la ville quasi-déserte. En effet, Narayan avait passé des heures à convaincre le chef de la garnison qu’il était vain de la défendre. Ce dernier ayant rassemblé plus d’hommes que nécessaire en rappelant les patrouilles du mur-frontière. Ce n’est qu’une heure avant le coucher du soleil que l’évacuation commença. Mais seule la moitié de la population de Surat accepta de tout abandonner. Il était difficile pour eux de croire au coup d’état. Et pour les plus simples paysans, il leur était égal d’être citoyens de la Confrérie ou du nouvel Empire de Raj. Qu’à cela ne tienne, pour Narayan, l’armée seule comptait. Il avait besoin des trois mille soldats de la garnison frontalière pour protéger Voojing, et il les avait convaincus. Soudain un bruit sourd retentit, suivi d’un grondement. Au loin, un nuage de fumée et de poussière s’éleva au dessus de la ville. Un sourire de satisfaction illumina le visage de Narayan. La tour de la caserne venait de s’effondrer. C’était malheureusement le seul piège qu’il avait pu mettre en place en si peu de temps, mais il avait fonctionné. Il savait que, maintenant, les soldats ennemis entreront dans les cités de Voojing la peur au ventre. Il fit faire volte-face à sa monture et repartit au petit galop, remontant jusqu’en tête de la colonne de civils et soldats qui lui étaient maintenant loyaux. *** La petite barque était ballotée par les vaguelettes du lac. L’air était frais et l’absence de brume était de bon augure. A tour de rôle, Hiro et Shinobi aidaient Daramdas, le propriétaire de l’embarcation, à ramer, car le vent n’était pas suffisamment fort pour la petite voile. Daramdas était pêcheur. Les compagnons l’avaient rencontré à l’aube, sur la rive du lac, alors qu’il se préparait à partir travailler. La négociation fut difficile, car Daramdas ne s’était jamais aventuré à plus de trois ou quatre kilomètres des berges, mais le temple, s’il existait, se trouvait à plus de trente kilomètres, au centre de l’immense étendue d’eau. De plus, Daramdas pêchait principalement des crabes et préférait donc ne pas s’éloigner des hauts fonds. Hiro avait su trouver un arrangement avec le pêcheur : ils lui laissaient une heure pour pêcher ses crabes, le temps pour eux de trouver l’équipement dont ils auraient besoin pour explorer le temple. Ensuite, Daramdas devait les retrouver sur la plage de Soniya et les conduire au centre du lac en échange d’une bourse d’or. Le pêcheur en fut ravi. Amar se rendit à nouveau au temple de Piya, à la recherche de potions et parchemins magiques. Il recherchait tout particulièrement un moyen de faire apparaitre ce qui était caché par magie, selon l’hypothèse de Hiro. Mais il ne trouva que des potions de soins, ce qui était un bon début. Le prêtre lui conseilla également de se rendre chez l’herboriste. D’après lui, on y trouvait notamment un moyen de respirer sous l’eau. Le moyen en question était une pâte à mâcher, un mélange d’herbes et d’autre chose, au prix exorbitant. Toute la richesse du groupe y passa, excepté la bourse destinée à Daramdas. Le soleil de la fin de matinée pointait maintenant haut dans le ciel. Autour d’eux, il n’y avait que l’eau du lac à perte de vue. Amar méditait, à l’arrière de l’embarcation et Shinobi ramait alors qu’à l’avant Hiro et Jodha scrutaient les environs. Amar et Daramdas les avaient mis en garde contre les dangers du lac, mais pour le moment tout était très calme. Daramdas dit alors : « Je n’ai pas vraiment de repère ici, mais je pense que nous ne sommes pas encore à la moitié du chemin. Si le vent se levait, nous irions un peu plus vite, mais c’est peu probable en cette période de l’année. » Une légère brise se fit soudain sentir. Elle caressa la voile, puis se mit à forcir et la toile se gonfla. Daramdas lâcha aussitôt sa rame et rejoignit Amar à l’arrière pour prendre la barre. « Vous êtes réellement bénis, mes amis, dit le pêcheur. - Tout porte à le croire, en effet, répondit le moine en regardant à son tour le paysage vide. Comment vous dirigez-vous ici ? - Au soleil, je n’ai que ça. Nous allons plein Naar alors c’est assez simple. Si ce que vous cherchez est assez gros, on devrait le trouver. » Shinobi ramena également sa rame à bord et s’allongea comme il pouvait pour se reposer. Hiro laissa Jodha à l’avant, le regard perdu sur l’horizon à faire des boucles avec ses longs cheveux, et se tourna vers Amar. Désignant Shinobi du regard, il dit dans la langue des esprits : « De quel animal crois-tu qu’il est issu ? - Là comme ça, je dirais la marmotte ! » Et ils rirent de bon cœur, réveillant le guerrier. « Hé, cria ce dernier, je rame depuis ce matin, un peu de respect ! ». Shinobi se retourna et chercha à se rendormir. Légèrement inquiet, Hiro demanda à Amar : « Tu crois qu’il nous a compris ? - Non, aucune chance. » Et ils rirent de nouveau. Le vent s’était encore accentué et les avait portés ainsi jusqu’en milieu d’après-midi, avant de disparaître subitement, comme il était venu. La barque à voile semblait maintenant immobile sur les flots où se reflétait le ciel bleu, dépourvu de nuage. Alors que Jodha se rafraichissait le visage à l’aide de l’eau du lac, Amar demanda à Daramdas : « Penses-tu que nous soyons encore loin ? - Difficile à dire, répondit le pêcheur. Le vent nous a poussés bien vite, mais je ne sais pas sur quelle distance. - De toute façon, il n’y a toujours rien ici, dit Shinobi, alors continuons. » Il s’installa sur le petit banc, dos à la proue et tira une rame pour Daramdas. Le pêcheur le rejoignit et le guerrier mit sa propre rame à l’eau. Il donnait la première impulsion quand Hiro s’écria : « Attendez ! Là, regardez ! Il pointait son doigt droit devant eux. - Qu’y a-t-il ? demanda Amar en se levant d’un bond. - Un lotus, dit Hiro. » Shinobi restait perplexe : « Un lotus ? Et alors, on en a vu des milliers sur le lac. » Jodha llui répondit : « Oui, mais aux abords des berges. Ici nous sommes en plein centre. - Il a peut-être simplement dérivé jusque là, proposa Daramdas. - Allons voir de plus près, dit Hiro à l’attention des rameurs. » Pendant qu’ils s’approchaient lentement de la fleur, Jodha demanda à Amar : « Te rappelles-tu avoir vu un lotus sur la peinture ? - Non, mais je peux vérifier, dit-il en sortant le parchemin sur lequel il avait recopié le dessin. Non, confirma-t-il, mais je n’ai pas pu voir la forme exacte du temple. - Alors tu as certainement raison, mon ami, dit Shinobi à Daramdas. - C’est bon, dit Hiro, on y est. » Jodha se pencha au bord de la barque et tendit la main pour attraper la fleur flottante. « Non ! cria Hiro en lui retirant le bras. Il y a peut-être un piège. - Une fleur piégée ? s’étonna la jeune femme. J’ai vu de nombreux pièges dans ma vie, mais je ne vois pas comment on pourrait piéger un lotus. - Par magie, dit le voleur. Amar, peux-tu faire quelque-chose ? - Je peux essayer de savoir si c’est magique, mais rien de plus. - La place est à toi, dit la danseuse. » Elle s’écarta pour laisser passer le moine et reprit place à l’arrière. Amar demanda à Shinobi : « Maintiens-nous en place le temps que j’incante. » Il tendit les mains en direction de la fleur et prononça une série de mots étranges. « Non, je ne détecte rien. Voyons si c’est une fleur errante, dit-il en tendant à son tour la main pour s’en saisir. - Non ! hurla à nouveau Hiro. Laisse-moi vérifier une dernière chose avant. » Il se saisit du bâton de son ami et poussa la fleur d’une des extrémités. Cette dernière se déporta lentement à la surface. Daramdas, qui observait la scène, impassible, demanda tout bas à Jodha : « Ils sont toujours comme ça ? - Je ne les connais que depuis peu, mais c’est vrai qu’ils sont parfois…surprenants. » Impatient, Shinobi demanda à Hiro : « C’est bon, maintenant ? Ou as-tu encore une bonne raison de nous faire perdre du temps ? - C’est bon, allez-y, dit le semi-esprit, à vos risques et périls. » Le guerrier leva les yeux au ciel tandis qu’Amar se saisit de la fleur. Il la sortit de l’eau sans difficulté et se tourna vers ses compagnons : « Je crois que tu avais raison, Daramdas. - Euh, pas tout à fait, dit Hiro. » En effet, du bas de la fleur partait une longue tige qui se perdait dans les eaux du lac. Amar tira dessus et la remonta d’un bon mètre supplémentaire. Puis la tige se bloqua. Il tira alors de toutes ses forces, mais la tige ne céda pas. En réaction, la barque s’était déplacée et se trouvait maintenant à la verticale du point d’ancrage du lotus. Amar tendit alors la fleur à Daramdas et lui dit : « Utilise-la pour t’amarrer, nous allons descendre. - Les dieux vous ont conduits jusque là, qu’ils vous protègent dans votre quête, dit le pêcheur. » Les quatre compagnons attachèrent solidement leurs armes sur eux afin de ne pas les perdre dans le lac. Puis Amar sauta à l’eau, alors que Shinobi, Hiro et Jodha commencèrent à mâcher leur étrange pâte achetée si cher à Soniya. « Ce n’est pas mauvais, dit Hiro. Je serais curieux de savoir ce qu’il y a dedans. » Le semi-esprit plongea à son tour, suivi de Jodha et Shinobi. Le soleil brillait encore fort sous l’eau claire du lac. Hiro aperçut facilement Amar qui descendait le long de la tige du lotus, cinq ou six mètres en dessous de lui. Il attrapa la tige à son tour et commença à descendre. Rapidement, l’air vint à lui manquer. Inquiet, il se résigna à respirer. La pâte avait collé dans toute sa bouche et formé une barrière filtrante, empêchant l’eau d’entrer tout en en prélevant l’oxygène. La respiration était donc difficile, mais possible. Hiro vérifia que ses compagnons le suivaient bien puis continua sa descente. Amar, lui, respirait sans aucune difficulté sous l’eau, don qu’il avait hérité de son père, l’esprit d’une rivière. A sa suite, tous descendaient maintenant le long de la tige vers les profondeurs du lac Piya. Autour d’eux, les poissons semblaient nombreux, mais ils restaient à bonne distance des intrus. A mesure qu’ils descendaient, les rayons du soleil perçaient de moins en moins. Malgré cela, dans la noirceur des profondeurs, Hiro crut apercevoir une lueur. Il scruta le fond plus attentivement et la lueur réapparût. C’était plus un éclat qu’une lueur, un reflet sur une surface dorée. Nous avons trouvé le temple ! Soudain, des profondeurs s’éleva une ombre, une silhouette nageant dans leur direction. Suivie d’une autre quelques secondes plus tard. Des bulles remontèrent, passant devant Hiro, Jodha puis Shinobi. Amar avait dû crier quelque-chose. Puis de la lumière environna le moine et la scène qui s’offrit à lui poussa Hiro à redoubler d’effort pour descendre porter secours à son ami. En effet, Amar avait enroulé une de ses chevilles autour de la tige et tenait son bâton des deux mains. Il tentait de repousser deux créatures humanoïdes verdâtres couvertes d’écailles brillantes. Elles avaient des nageoires sur les bras, le dos et la queue, une large gueule aux dents acérées et quatre pattes palmées terminées par de longues griffes. Elles portaient des chaînes croisées sur le torse et une sorte de pagne. Chacune d’elle harcelait le moine avec une arme semblable à un trident aux pointes très resserrées. Jodha passa devant le semi-esprit. Elle avait lâché la tige et nageait à toute vitesse, son khanjarli entre les dents. Shinobi la suivait, mais il était moins à l’aise dans l’eau et ses grands bras faisaient des moulins inefficaces. Hiro mit alors également son arme en bouche et tira de toutes ses forces sur la tige afin de se projeter en avant. Il reprit son khanjarli juste avant d’atteindre la créature et fondit dessus, bras tendu. Sa lame se planta dans le dos de sa cible qui fit des tours sur elle-même et s’éloigna du combat de quelques mètres en entraînant Hiro avec elle. Jodha se plaça entre l’autre créature et Amar. Ce dernier tenta alors de lancer un sort, mais il ne se produisit rien de plus qu’une grosse bulle lumineuse qui disparût aussitôt. Shinobi, qui avait vu Hiro s’éloigner, tenta de le rejoindre, mais en nageant de la sorte, il espérait que son ami tiendrait assez longtemps pour qu’il puisse lui venir en aide. Hiro réussit à se stabiliser et mit un grand coup de pied dans son adversaire afin de dégager sa lame. La créature blessée se tourna vers lui et le poussa à son tour de sa patte arrière. Puis elle contourna agilement le voleur dont le corps faisait encore des vrilles et le frappa de son arme. Heureusement, seul le manche le toucha. Il parvint à se rétablir, saisit l’arme de la créature et la tira vers lui. Blessée, elle n’avait plus la force de lutter et la lame du Naaresh lui trancha la gorge. Tous deux disparurent à la vue de Shinobi derrière un nuage de sang. La seconde créature tournait maintenant autour de ses proies. Sa nage était rapide et fluide. Elle s’éloignait puis filait vers Jodha, la frappait de son trident, provocant de nombreuses entailles puis s’éloignait à nouveau hors de portée de bras de la danseuse. Sa tactique était simple, elle épuisait sa cible et attendait le moment propice pour porter un coup mortel. La magie d’Amar était impuissante et il ne pouvait utiliser son bâton pour frapper sous l’eau. Il attendit donc une nouvelle charge et lança son arme sur la trajectoire de la créature. Cette dernière la reçut en plein visage et ne put dévier sa course à temps. Elle se retrouva à portée de Jodha qui se saisit de son trident et d’un coup rapide désarma sa cible. Amar s’agrippa alors à une nageoire et tenta de maîtriser son adversaire. Bien moins à l’aise sous l’eau, la lutte était difficile. Heureusement, il n’était pas seul et Jodha frappait encore et encore le corps écailleux avec son khanjarli. Finalement, Amar sentit que la créature ne luttait plus. Il lâcha sa prise et le corps sans vie remonta lentement vers la surface entouré lui aussi d’un petit nuage écarlate. Hiro avait rejoint Shinobi et l’avait aidé à se ressaisir de la tige. Le groupe au complet continua alors sa descente vers le bâtiment doré qui se dessinait maintenant clairement, une dizaine de mètres plus bas. C’était un grand bâtiment carré surmonté d’un dôme, encadré par quatre petites tours décoratives. La tige était ancrée au sommet du dôme. Les compagnons durent nager encore quelques mètres pour atteindre l’entrée. Ils la trouvèrent, dissimulée entre algues et rochers à un mètre à peine du fond du lac. C’était une entrée parfaitement circulaire, sur les parois de laquelle pointaient de grandes dents métalliques. Loin d’être rouillées, ces dents scintillaient presque à la faible lumière des rares rayons de soleil qui arrivaient à percer à cette profondeur. Ils passèrent prudemment cette entrée et débouchèrent dans une petite pièce carrée, entièrement inondée. Les murs étaient en pierre brute, excepté celui du fond, barré verticalement du même métal que les dents de l’entrée. Une petite alcôve était creusée au centre de ce mur et renfermait un levier. Amar fit un signe à Shinobi qui alla actionner le levier. Sans un bruit, celui-ci bascula vers l’intérieur de la pièce et immédiatement, les dents se mirent en mouvement. Elles s’allongèrent en tournant comme un immense diaphragme qui vint refermer l’entrée, plongeant la pièce dans l’obscurité. Mais avant qu’Amar ne puisse finir son incantation, des dizaines de petits globes sur les murs commencèrent à luire d’un éclat bleu, ramenant peu à peu de la lumière. Quand elle fut suffisante, Hiro et Jodha étudièrent le mur barré de métal. Ensemble, ils découvrirent que seul un carré de mur de trois mètre de côté était composé de blocs de pierre taillés maintenus par du mortier et consolidé des fameuses barres métalliques. Convaincus qu’il s’agissait d’une porte, ils poussèrent chacun de leur côté. Rien ne se passa. Hiro invita alors Jodha à le rejoindre pour pousser du même côté que lui. Le mur se mit à bouger légèrement, en pivotant sur son axe vertical. Shinobi et Amar qui observaient jusque là se joignirent à leurs compagnons et ils poussèrent tous ensemble. La porte tourna alors subitement. Entraînés par leur poussée et le poids de l’eau du sas, les quatre compagnons de déversèrent dans un torrent à l’intérieur du temple sous-marin. Amar fut le premier à se relever. Il se trouvait dans un étrange édifice, illuminé de milliers de petits globes bleus. On y voyait presque aussi bien qu’en plein jour. Le plafond devait bien se trouver à cinq mètres au dessus de lui. Tous les murs étaient en pierre brute, mais sur sa droite et sa gauche se trouvaient des carrés bardés de métal semblables à celui qu’ils venaient de traverser. Il pataugeait dans une dizaine de centimètres de d’eau où flottaient étrangement quelques lotus multicolores et autres plantes aquatiques. Quelques petits crabes bleus vivaient également ici et ne semblaient pas embêtés par les visiteurs. Le mur face à lui était ouvert par une grande arche de pierre et donnait sur une sorte de couloir transversal. De l’autre côté du couloir, une autre porte de pierre et de métal lui faisait face. Le moine se tourna vers ses compagnons et les trouva en train de se tordre de douleur. Ils tentaient de se relever mais étaient incapables de respirer. Amar se précipita et attrapa Hiro, le plus proche de lui. Il l’aida à se redresser et lui frappa fort dans le dos du plat de la main. Ce dernier cracha alors dans l’eau une boule de pâte dure comme une pierre qui éclaboussa en tombant dans l’eau. Le Naaresh inspira un grand coup et fit signe à son ami d’aider ses autres compagnons. Quand ils furent tous sauvés, Hiro dit : « Merci, j’ai bien cru que j’allais y passer. En sortant de l’eau cette satanée pâte s’est durcie instantanément. C’est une chance que tu n’en aies pas besoin ! » Amar lui répondit d’un grand sourire et ils aidèrent Jodha et Shinobi, encore à quatre pattes, à se remettre debout. Tous sur pied, ils passèrent sous l’arche pour entrer dans le large couloir. La porte face à eux s’ouvrit lentement. Il s’en échappait une lumière jaune qui contrastait avec le bleu environnant. En approchant, ils distinguèrent au centre de la pièce un piédestal sur lequel trônait une pierre ovoïde de couleur brun-rouge. Ils échangèrent un regard et dirent en chœur : « La Pierre Prophétique ! ». Mais alors qu’Hiro pensait : c’est trop facile, un vieil homme vint se placer entre eux et la pierre.

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